Thursday, February 16, 2012

En terre jésuite

les restes de la mission de San Ignacio Mini

Fondée en 1540 par Saint Ignace de Loyola, la Compagnie de Jésus est un des ordres religieux qui à le plus marqué le sud de l'Amérique latine, et en particulier l'Argentine. En effet, à peine le nouveau continent découvert et colonisé par les couronnes espagnoles et portugaises, différents ordres (franciscains, dominicains, et autres) y envoient des prêtres pour convertir les païens qui peuplent ses terres. Dans l'ensemble leur succès n'est pas retentissant, et les colons eux voient en ces indiens d'Amérique plus des esclaves à envoyer dans les mines ou les plantations que des âmes à sauver.

violon fabriqué par les indiens guaranis
Les jésuites arrivent sur le continent dans les années 1560, à peine vingt ans après la formation de leur ordre. Réputés à la fois pour leur importante formation intellectuelle et leur pragmatisme, ils abordent les indiens locaux d'une nouvelle manière. Ils commencent par apprendre les différentes langues des indiens, et étudient leur coutumes. Plutôt que de leur faire adopter un mode de vie européen du jour au lendemain, ils essaient de voir quelles coutumes sont compatibles avec le christianisme, et lesquelles sont absolument incompatibles (la polygamie, et le cannibalisme, par exemple). Ils parlent du Christ aux indiens dans leur propre langue, et à travers des médias qu'ils connaissent et aiment, comme la musique chez les indiens Guarani du sud du Brésil.

Avec pour objectif l’évangélisation des peuples originaux, ils ne peuvent tolérer les raids des chasseurs d'esclaves portugais et dès les années 1600 ils commencent à former au brésil des missions, communautés regroupant plusieurs milliers d'indiens et dirigées par un ou deux jésuites. Ce regroupement rend les indiens moins vulnérables au rapt par les chasseurs esclaves, et c'est ce risque d'esclavage qui pousse de nombreux chefs indiens à venir rejoindre les missions, malgré la perte d'autorité que cela représente pour eux.

Les missions ont toutes le même schéma d'organisation : centrée autour d'une grande place, il y a d'un côté l'église, le collège, les ateliers de travail (travail du bois, du fer...) et le cimetière, et des trois autres côtés de la place s'étendent les maisons pour les familles, les dortoirs pour les jeunes garçons entre 12 et 17 ans qui sortent de leur famille pour être instruits, et la maison pour les veuves et orphelins qui sont pris en charge par la communauté (repris de l'organisation des communautés guaranies). Le jésuite est l'autorité suprême de la mission et la vie s'organise autour des temps de célébration et de prière. 3 jours par semaine, chaque famille travaille son lopin de terre pour elle même, et 3 jours par semaine, elle travaille la terre de la communauté. Le dimanche est le jour de repos, consacré à la prière et la musique. On apprend aux adolescents à lire, et à pratiquer un métier. Pour éviter la fornication en dehors du mariage, et aussi parce que les indiens Guarani ont une espérance de vie de 35 ou 40 ans, on marie les garçons à 17 ans et les filles à 15 ans.

Mais les chasseurs d'esclaves ne se laissent pas abattre et attaquent les missions brésiliennes de façon répétée. Les jésuites décident de bouger leurs missions vers le sud à plusieurs reprises et finissent par s'installer dans la région qui aujourd'hui se trouve au croisement des frontières brésilienne, argentine, et paraguayenne. Pour plus de sécurité, en plus de leur métier, on apprend au garçons adolescents à manier les armes dans le but de protéger la mission en cas d'attaque renouvelée.

Non loin de là, dans la ville de Cordoba, les jésuites remplissent une autre mission qui leur tient à cœur : l'éducation. Ils fondent l'Université de Cordoba en 1610 au départ ouverte pour les élèves de l'ordre, puis ouverte aux autres à partir de 1622, leur enseignant philosophie et théologie. L'Université grandit vite, et à cause de tensions grandissantes en Europe et la Compagnie de Jésus et la couronne espagnole, elle se voit retirer son financement par le gouvernement local et doit trouver une autre façon de faire tourner leur université. Les jésuites créent donc des "estancias", sorte de grande plantation sur laquelle travaillent à la fois de la main d’œuvre payée, souvent indienne, ainsi que des esclaves, souvent d'origine africaine. Il y eut 6 grandes estancias jésuites autour de Cordoba, et 5 existent encore à ce jour. On y cultivait maïs, lentilles, haricots, et on y élevait beaucoup de bétail.
estancia de Alta Gracia, près de Cordoba
Université, missions et estancias furent gérées par les jésuites jusqu'en 1767, lorsque l'ordre fut expulsé de tous les territoires espagnols sur ordre du roi. L'université de Cordoba passa aux mains des franciscains avant d'être mis sous la direction du clergé séculier, puis nationalisé. Les estancias furent abandonnées puis rachetées par des particuliers. Les missions furent réorganisées : un prêtre fut mis en charge des offices religieux, mais souvent ne parlais pas la langue locale. Un administrateur du gouvernement fut imposé pour tous les autres aspects de la vie de la mission, et introduit l'argent pour la première fois dans la mission, où auparavant on ne travaillait que pour nourrir sa famille ou la communauté, ou pour embellir l'église. Les indiens, probablement initiés à l'appât du gain, n'appréciant pas les dérives des nouveaux administrateurs coloniaux, et connaissant les métiers que leur avaient enseigné les jésuites, finirent par abandonner les missions pour aller chercher du travail à la ville.

Ainsi l'influence jésuite pris fin vers le 18ème siècle, ayant toutefois fortement marqué l'histoire de la région.

1 comment:

  1. Merci beaucoup pour cet article très intéressant. Comme à chaque changement de continent, vous nous faites découvrir un nouvel univers !
    Merci pour le temps que vous prenez à alimenter votre blog !
    Bizzz

    ReplyDelete