La première chose que nous retiendrons de notre passage en Israël et Cisjordanie, c'est la Semaine Sainte extraordinaire que nous y avons passée. La deuxième chose, c'est la nausée qui nous a saisis petit à petit en découvrant à quel point Israël va trop loin : le mur abject et la colonisation rampante que nous avons vus nous ont énormément choqués. Il y a de nombreuses voix, même au sein d'Israël, pour changer les choses. Qu'elles se fassent entendre et comprendre !!
1/ Objectif rempli
Notre premier objectif en venant en Terre Sainte était de vivre Pâques sur les pas du Christ. Certains disent que voyager en Terre Sainte, c'est comme lire un 5ème évangile : cela apporte une compréhension géographique et archéologique complémentaire aux écritures, ce qui a une valeur intellectuelle et spirituelle inestimable. Nous avons eu beaucoup de chance de passer une semaine sainte extraordinaire, et les souvenirs que nous y avons alimentent notre vie de chrétiens.
Après cette semaine sainte, nous nous sommes consacrés à une découverte plus approfondie de la région. C'est une région très marquante, à plusieurs titres :
2/ Israël, un pays fascinant
Lieu de passage de nombreuses civilisations, la région est extrêmement riche d'histoire, de culture et de religion. La densité des vestiges archéologiques et historiques y est sans doute unique. Certains sont d'ailleurs très bien mis en valeur.
Les paysages y sont variés et magnifiques. Entre les paysages désertiques, les régions vertes de la Galilée et du Golan, les mer méditerranée, rouge et morte, le pays a une diversité impressionnante pour une taille si réduite.
Enfin, l'histoire de l'Etat d'Israël a des aspects qui forcent le respect : le pays s'est installé par la force et la stratégie dans un environnement hostile. En 1948, personne ne pensait que l'Etat d'Israël ne survivrait plus de quelques semaines au milieu des pays arabes prêts à en découdre avec lui. Aujourd'hui, l'Etat d'Israël a assis sa sécurité et a une des armées les plus puissantes au monde. Sa population vient des 4 coins de la terre et lui donne une impressionnante diversité de cultures et de couleurs. Une langue a même été réinventée : l'hébreu biblique a été considérablement modernisé pour être utilisable dans la vie de tous les jours (par un certain Ben Yehuda), et a surtout été adopté avec succès.
Aujourd'hui, Israël est un pays très moderne. Mais cet Etat va trop loin : nous l'avons encore peu exprimé sur ce blog car nous cherchions à rassembler plusieurs avis et plusieurs angles avant de nous engager. Finalement, à chaque fois que nous avons cherché à parler à de nouvelle personnes ou à avoir d'autres informations pour tempérer ou expliquer les choses, cela nous a conforté dans cette idée qu'Israël va trop loin.
3/ Petit à petit, la nausée
En arrivant à l'aéroport de Tel Aviv, nous avons été questionnés comme tout le monde au guichet de contrôle des passeports, puis nous avons été emmenés pour être interrogés un peu plus. Des questions rapides et pressantes ont fusé, il était 4h du matin et nous avions mal dormi dans l'avion, nous avons été assez déstabilisés. Evidemment, à ne pas avoir d'emploi, de logement ou de téléphone en France, nous paraissions un peu louches. Il n'empêche que nous ne sommes pas sentis très accueillis. Nous avons aussi senti une certaine méfiance et une arrogance que nous avons retrouvées plus tard lors de contrôles, et qui nous ont toujours mis très mal à l'aise. On nous a dit que si nous avions mentionné que nous comptions aller dans les Territoires Palestinens, on nous aurait renvoyé au pays tout de suite : c'est arrivé au petite ami d'une française qui travaille à Ramallah, quand il a eu le malheur de dire où il allait la rejoindre.
nous devant le mur, orné d'une inscription en jaune disant God = Love |
A gauche la Cisjordanie, à droite le mont des oliviers |
A gauche le mont des oliviers, a droite Béthanie |
Pour autant, il y quand même de l'argent en Cisjordanie : nous n'avons quasiment jamais vu autant de BMW flambantes qu'à Béthléhem. Contrairement à ce que l'ont pourrait penser, les palestiniens ne sont pas forcément pauvres (en Cisjordanie). Il y a d'ailleurs une aide internationale considérable qui leur est donnée. Certains disent que l'Occident, par manque de volonté politique, préfère s'acheter une conscience en faisant de l'humanitaire qui n'est pas indispensable...
Les Palestiniens préféreraient sans doute plus de volonté politique. En leur parlant, on sent souvent une amertume et un fatalisme considérables. Certains ont été chassés de leur terre en 1948 et parqués dans des camps. Tous sont coupés d'une partie de leur famille et du reste du monde. Ils sont aussi contrôlés régulièrement dans leurs déplacements par l'armée israélienne, qui est omniprésente : seule une toute petite partie de la Cisjordanie n'est pas sous contrôle, au moins partiel, de l'armée israélienne, et celle-ci a notamment le monopole de la sécurité sur tous les grands axes routiers. Par ailleurs, une bonne partie des palestiniens sont passés par de la prison, pour des raisons plus ou moins valables. Mais surtout, ils ont l'impression de se faire envahir et chasser à petit feu par les colonies. C'est ce point des colonies qui nous paraît le plus insupportable, et le plus hypocrite :
- en entrant en Cisjordanie depuis Jérusalem par la route qui va à la mer morte, on aperçoit de nombreux ensembles de bâtiments neufs entourés de murs sur la crête de collines : il s'agit de Maale Adumim, une des plus grandes colonies israéliennes en Cisjordanie, qui abrite 37 000 colons en 2010, et qui souhaite atteindre 50 000 habitants.
Maale Adumim |
Une autre colline adjacente est entourée de barrière, et bien que rien ne soit construit dessus, des routes neuves y mènent. Si on voulait construire une deuxième colonie pour entourer un peu plus Béthlehem, on ne s'y prendrait pas autrement...
Au fond à gauche, une partie de la colonie qui fait face à Béthléhem, à droite, une colline vide mais terrassée et clôturée |
grillage pour protéger la rue à Hébron |
palestinien habitant au coin d'une colonie à Hébron, devant le mirador qui jouxte son toit |
Apparemment les colons font même venir des gens pour leur montrer les conditions difficiles dans lesquelles ils vivent... Alors que je prends des photos des murs et des barbelés dressés, un soldat d'une vingtaine d'année dépasse du toit, et engage la conversation sur un ton amical. Il nous surplombe de 10 mètres, une mitraillette à la main, et nous explique avec enthousiasme qu'il est américain, qu'il a passé ses dernière vacances en France, et qu'il est très fier d'être venu rejoindre l'armée israélienne pour protéger des colons à Hébron...
un des postes de surveillance en plein hébron |
Hébron, rue condamnée, pour cause de colonie de l'autre côté |
une cahute de soldat sur les bords d'une des colonies à Hébron |
Sur Silwan voir le Wadi Hilweh Information Centre.
- A Sheikh Jarrah, autre quartier de Jérusalem Est, nous rendons visite à des familles palestiniennes qui sont empêtrées depuis des années dans des imbroglios juridiques visant à les faire partir. De temps en temps, l'une de ces familles finit par être raflée et une famille de colons s'installe. La famille à qui nous rendons visite a 2 maisons sur son terrain. La première est désormais occupée par deux colons et un chien qui ont leur "bureau" ici. La famille palestinienne vit dans la seconde maison juste derrière... En partant de chez eux nous croisons le colon. Il a apparemment un peu moins de 30 ans, et ne parle pas un seul mot d'anglais. Il sait très bien que nous sommes allés voir ses "voisins". Il nous regarde avec morgue et me fait signe de le prendre en photo devant "sa" maison, ornée d'un beau drapeau israélien.
Sheikh Jarrah, la maison d'une famille expulsée, désormais habitée par des colons, sous la surveillance d'un petit mirador |
Sur Sheikh Jarrah voir Solidarity
Il y a plusieurs centaines de milliers de colons israéliens en Cisjordanie, en augmentation constante. Leur présence et leur augmentation sont illégales aux yeux de l'ONU, ainsi qu'aux yeux de la loi israélienne. Pourtant, le gouvernement actuel les soutient, et les protège.
Près de la maison d'abraham |
En revenant en Israël après être passé en Cisjordanie, nous n'avons plus le même regard : cette fois nous "tiquons" sur de nombreux détails, et la nausée s'installe, progressivement :
- un des drapeaux israéliens les plus grands et les plus visibles à Jérusalem trône sur le mont des oliviers : nous remarquons que c'est en plein Jérusalem-Est, côté palestinien.
le drapeau du mont des oliviers |
- nous déjeunons le charmant village d'artistes de Ein Hod, près de Haïfa. Nous apprenons qu'il s'agit d'un village déserté (vidé ?) en 1948, et dont l'Etat israélien a donné les maisons aux artistes, à la condition qu'ils y travaillent et y exposent un temps minimum chaque année. De même dans la ville de Tsfat, l'ancien quartier arabe a été renommé quartier des artistes et l'ancienne mosquée a été transformée en galerie.
- en visitant la forteresse de Nimrod, dans le Golan, un commentaire audio incite les visiteurs à découvrir un superbe musée sur les héros résistants juifs d'avant 1948 (rien à voir avec cette forteresse ottomane...). On ne peut s'empêcher de se demander pourquoi un gosse qui lance une pierre en Palestine est appelé terroriste et un type qui a posé une bombe avant 1948 est appelé un résistant...
- une congrégation religieuse souhaite construire un centre d'accueil de pélerins au bord du lac de Tibériade. Comme pour tout projet de ce type, l'Autorité des Antiquités d'Israël doit vérifier que le sous-sol ne contient pas de vestiges importants. En l'occurence, des fouilles montrent qu'il y a des vestiges intéressants d'une ville de l'époque du Christ. Il y a notamment une synagogue, qui intéresse beaucoup les autorités, préoccupées en priorité de prouver la présence juive sur ces terres. Il y a d'autres vestiges mais le ministère ne juge pas intéressant de les excaver.
- Des religieux travaillant en Terre Sainte nous parlent de manipulation et de désinformation. Certains ont été témoins d'histoires qu'ils ne peuvent rendre publiques. On les a menacés de ne pas renouveler leur visa annuel si ils en parlaient.
Nous avons l'impression d'assister à un jeu de go géant. L'avancée feutrée mais inexorable des colons israéliens est indubitable et insoutenable. On a aussi l'impression que l'arrogance, la pression et les provocations quotidiennes sont voulues : si il y avait une réaction violente côté palestinien, cela justifierait une réaction d'Israël qui pourrait en profiter pour avancer un peu plus ses pions...
Enfin, après avoir visité l'Afrique du Sud, le pays de l'apartheid, nous retrouvons de nombreuses caractéritiques : les afrikaaners lisaient littéralement le concept de terre promise dans la Bible, ce que font aussi les sionistes. Les afrikaaners ne voulaient surtout pas habiter avec les noirs, les parquaient dans des townships et entravaient leur circulation notamment par le biais d'une carte d'identité précisant leur race. Israël s'enferme derrière son mur, les colons s'enferment littéralement dans les quartiers qu'ils occupent, les palestiniens sont poussés à partir, et la religion de chacun est mentionnée sur son passeport (tout le monde n'ayant pas les mêmes droits bien sûr). Finalement le résultat est le même qu'au temps de l’apartheid en Afrique du Sud : un peuple est déconsidéré et opprimé sur sa propre terre.
A l'occasion de la Nakba (la grande catastrophe, pour les palestiniens, la création de l'Etat d'Israël en 1948), il y a eu des manifestations de palestiniens et des heurts. Un enfant de 13 ans a même été tué par un colon à Silwan, juste à côté de là où nous logeons à ce moment-là. On nous explique que ce n'est pas le premier incident de ce genre, et que le colon ne sera jamais inquiété pour ce meurtre (en revanche les palestiniens qui ont jeté des pierres sur sa maison à la suite de ce meurtre sont allés directement en prison). Le lendemain, une dame d'une soixantaine d'année, manifestement juive, engage la conversation à l'arrêt de bus : "Voyez comme l'atmosphère est brune. "Ils" (les palestiniens) ont brûlé des pneus à la frontière hier soir. Cela empeste. A cause de ça, j'ai mal dormi. Vous voyez comme la vie est difficile ici !". Devant notre silence pas du tout compatissant elle ne nous adressera plus la parole.
En attendant, à la fin de notre séjour, nous n'en pouvons plus de cette injustice intolérable que nous voyons partout, nous sommes pris de nausée. Pour la première fois, nous sommes content de quitter un pays que nous visitons.
4/ Attention aux pièges
Après cette charge contre l'Etat d'Israël, il convient absolument de préciser plusieurs points :
- c'est la politique du gouvernement actuel qui est en cause, notamment avec le mur abject et la colonisation rampante qui n'est pas contenue. De nombreux israéliens sont contre cette politique (les ultra-orthodoxes de Mea Sharim, par exemple, ou beaucoup de modérés à Tel Aviv), ou ne sont peut-être pas vraiment au courant (désinformation, incapacité à aller voir en Cisjordanie...). Surtout, de nombreuses ONG israéliennes essaient de se battre contre la colonisation (par exemple B'Tselem).
- il faut aussi se garder de penser que les palestiniens sont tout blancs : si on est manipulés par Israël, on l'est aussi en Cisjordanie. Certains n'hésitent pas à se victimiser, ou à en rajouter. La corruption est d'ailleurs très importante en Cisjordanie, et passer pour des victimes qui ont besoin d'aide financière en arrange beaucoup. Par ailleurs, les problèmes principaux que les palestiniens ont subi dans les dernières années (notamment à Gaza qui est malheureusement inaccessible au visiteur lambda), sont dûs aux luttes fratricides entre le Hamas et le Fatah. Quant aux revendications ou aux moyens d'action de certains d'entre eux, ils sont parfois exagérés, contre-productifs, voire inacceptables. Enfin côté palestinien il y a aussi une minorité en grande difficulté, celle des arabes chrétiens : on nous raconte par exemple que dans certains cas où leurs logements étaient pratiques pour contrer Israël, des arabes chrétiens ont été expulsés par les musulmans, et n'ont pas été relogés. Doublement minoritaires en tant qu'arabes puis en tant que chrétiens, une grande partie d'entre eux s'exile. Ainsi à Béthléhem, où il y avait encore récemment une majorité de chrétiens, ceux-ci ne représentent plus que 30% des habitants, une grande partie d'entre eux s'étant exilé entre autres au Chili.
- Le désespoir : la situation est certes très préoccupante, mais il y a en fait énormément de gens qui ont des attitudes constructives. Nous en avons rencontrés de tous bords. Là où nous avons rencontré les comportements les plus abjects, nous avons aussi rencontré les gens les plus extraordinaires. Dans le fond il faudrait un miracle. Nous avons déja parlé du "miracle Mandela" en Afrique du Sud, et de celui de la chute de la dictature au Malawi. Sans doute faudrait-il un miracle venant d'Israël. Au lieu de s'enfermer dans l'arrogance et la peur, l'Etat israélien devrait comprendre que le moment est venu, depuis qu'il est devenu le plus fort, d'apprendre à donner, à lâcher un peu pour initier un cercle vertueux de paix : il a les cartes en main. Dans tous les cas, plus l'Etat d'Israël exagère et plus cela se sait, plus il s'expose à un retour de bâton. Et à l'heure de la mondialisation et d'internet, de telles logiques de fermeture sont autodestructrices bien plus rapidement qu'avant. L'opinion publique israélienne évolue aussi, notamment la jeunesse. Suite au printemps arabes les différentes factions palestiniennes sont enfin parvenues à s'entendre, et les palestiniens commence à s'inspirer des marches pacifiques. A suivre...
Dernière image, celle d'une icône sur le mur près du check-point de Béthléhem, écrite il y a quelques mois : il s'agit de Notre-Dame qui fait tomber les murs (physiques, intérieurs...).
Notre Dame qui fait tomber les murs |
Impressionnant... dans tous les sens du terme.
ReplyDeleteEt très touchante cette icône de Notre-Dame qui fait tomber les murs.
Remettez-vous bien.
Merci pour ce post très instructif!
ReplyDeleteBonne continuation asiatique!
Je viens juste de découvrir votre texte sur Israël. Il est passionnant et me paraît tout à fait lucide. Bravo et bonne chance pour la suite.
ReplyDeletebises à tous les 2,
Aubin
Me voilà de retour à Ramallah après mes vacances au Népal et je passe sur votre blog pour voir où vous en êtes...et je me reconnais dans cette française de Ramallah dont le petit ami ne pourra pas revenir pendant les 6 prochaines années!
ReplyDeleteCa fait plaisir de vous lire et de vous suivre! Très beau voyage!
Je continuerai à vous suivre!
Bonne route :)
merci pour vos commentaires !
ReplyDeletetriste complément dans l'actualité :
Israel approves 1,600 settler homes in East Jerusalem (http://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-14488066)
stan