Thursday, August 11, 2011

Quelques réflexions sur la politique de l'enfant unique en Chine


Mise en place en 1979, soit 3 ans après la mort du Grand Timonier Mao Zedong, la politique de l'enfant unique avait pour but de refréner la gigantesque croissance de la population chinoise, face à des ressources qui ne suivaient pas. Les familles ayant un deuxième enfant se voyaient appliquer des amendes exorbitantes, devaient payer eux-même pour la scolarisation de l'enfant, pouvaient se voir refuser des soins médicaux ou l’accès au logement dans les villes. Tout était fait pour inciter les familles à se limiter elles-mêmes.
Certains problèmes liés à cette politique ont émergé assez vite. Par exemple, certaines familles qui avaient un deuxième ou troisième enfant, notamment à la campagne, où des bras supplémentaires aux champs étaient les bienvenus, ne déclaraient que le premier, ce qui fait qu'il y a aujourd'hui un nombre inconnu mais non-négligeable de chinois qui n'ont pas d'identité officielle. Ils ne vont donc pas à l'école, ne peuvent se faire soigner dans des hôpitaux, n'ont pas accès au logement dans les villes, ne peuvent se marier officiellement, et leurs enfants auront le même sort...

Un deuxième problème, dont on commence seulement a voir les répercussions aujourd'hui, est la préférence des parents chinois pour les petits garçons. De nombreux infanticides ou abandons des petites filles à la naissance ont eu lieu sur près de 30 ans, et aujourd'hui le gouvernement chinois interdit même aux gynécologues de divulguer le sexe d'un enfant lors d'une échographie, sous peine d'emprisonnement. Il n’empêche qu'aujourd'hui, il existe un réel déséquilibre dans la proportions d'hommes par rapport aux femmes, et particulièrement dans les campagnes. Dans certaines régions frontalières, on dit même que certains chinois n'hésitent pas à aller s'acheter une épouse de l'autre côté de la frontière (au Vietnam, par exemple), faisant de la malheureuse victime une esclave ménagère et sexuelle, parfois pour plusieurs hommes du même village. Cela ne fait pas beaucoup avancer la cause de la femme.

Pour s'assurer que les familles n'ont bien qu'un enfant, les autorités ont une méthode redoutable : toute femme ayant déjà un enfant et se trouvant de nouveau enceinte est avortée de force, qu'elle en soit à son premier ou dernier mois de grossesse. On nous a raconté l'existence de réseaux pro-vie qui cachent les femmes enceintes qui ne veulent pas avorter, le temps de leur accouchement, et après se débrouillent pour remettre l'enfant illicite à un orphelinat. Mais très clairement, cela ne concerne pas la majorité, qui se laisse faire. Par ailleurs, même si une femme n'a pas déjà un enfant, on nous a raconté que lors de la première visite au gynécologue, si celui-ci confirme la grossesse, sa première question est "voulez-vous le garder?". En effet, comme toute femme n'a qu'une opportunité d'enfanter, si jamais ça ne tombe pas au moment le plus opportun (économiquement, professionnellement, relationnellement...) certaines préfèrent avorter pour remettre cela à un moment plus favorable.

On se doute donc, si certaines femmes sont prêtes à avorter si ce n'est pas le moment opportun de leur vie pour avoir leur unique enfant, que si l'on détecte un défaut physique à l'enfant pendant la grossesse, il à peu de chance d'être mené à terme. Et même les enfants qui sont menés à terme et naissent avec un défaut important (bec de lièvre, défaut respiratoire, vessie à l’extérieur du corps...) sont abandonnés dans des orphelinats qui n'ont pas les ressources pour les faire opérer, où ils n'auront aucune chance d'être adoptés. (Heureusement il existe des organisations comme la Hope Foster Home de Robin et Joyce Hill, qui se charge de faire opérer ces enfants à leurs frais, et de s'en occuper jusqu'à ce qu'ils trouvent une "forever family" qui les adoptent.)
32 ans plus tard, nous sommes à la deuxième génération de l'enfant unique. Cela veut dire qu'aujourd'hui la plupart des enfants de moins de 10 ans n'ont pas de frère ni de sœur, et qu'il n'ont pas non plus de cousins, puisque leurs parents sont eux aussi enfant uniques. Cela veut dire que chaque enfant à deux parents et quatre grand-parents qui veillent exclusivement sur lui. Cette attention constante de 6 adultes sur un enfant grandissant peut être parfois un peu lourde. En effet, il faut satisfaire les attentes de tout ce monde, en obtenant les meilleurs résultats scolaires, le meilleur travail... Par ailleurs, les enfants sont relativement peu débrouillards, vu qu'ils n'ont pas à faire grand chose eux-mêmes. Ils n'ont pas non plus vraiment appris à partager leurs jouets, ni à s'occuper d'un plus petit qu'eux, et n'ont parfois pas beaucoup d'esprit d'initiative. Cela se sent dans les comportements : par exemple, on voit beaucoup de touristes chinois en groupes, suivre des tours organisés par dizaines, mais ils ne sont que très peu à savoir organiser leurs vacances tous seuls.

Il se trouve tout de même un effet positif inattendu de cette politique : le fameux "plafond de verre", qui empêche les femmes de monter au delà d'un certain niveau hiérarchique en entreprise, semble être moins présent en Chine qu'ailleurs. En effet, si les femmes ne peuvent avoir qu'un seul enfant, et qu'en plus cet enfant aura quatre grand-parents dévoués pour le surveiller à chaque instant, alors les entreprises peuvent considérer qu'il y a moins de "risque" de voir leurs employées partir en congé maternité ou parental. Notre amie Ségolène qui connaît tout Pékin nous avoue ne pas connaître un Directeur Financier à Pékin qui ne soit en fait une Directrice Financière. (Seule sphère où les femmes se trouvent face à un plafond de verre infranchissable : la politique)

Enfin, dernier effet à retardement de cette politique de l'enfant unique : le vieillissement de la population. Les autorités chinoises s'en sont bien rendues compte lors du dernier recensement de la population il y a quelques mois, la proportion de personnes âgées dans la population est grandissante, et le fait d'être seul à subvenir aux besoins de 4 grand parents et 2 parents est très lourd pour les jeunes chinois. Le gouvernement à donc décidé d'assouplir un peu cette politique : il y a dorénavant plusieurs cas de figures où les chinois ont le droit d'avoir plusieurs enfants. Les personnes d'une des ethnies minoritaires (les tibétains, les ouïgours, les bai, les mongols, les hui... il y en a une soixantaine, qui représentent 8% de la population chinoise) ont le droit d'avoir jusqu'à 3 enfants. Les personnes de l’ethnie han majoritaire vivant à la campagne ayant eu une fille ont le droit d'avoir un deuxième enfant (dans l'espoir d'avoir un garçon). Enfin, les personnes qui sont enfant unique et dont les parents sont également tous deux enfants uniques ont le droit d'avoir deux enfants. Toutefois, il semblerait que ces exceptions ne soient pas encore très bien connues de la population chinoise.

On pourra critiquer la politique de l'enfant unique autant qu'on voudra, elle a quand même bien servi la Chine (et le monde!). En effet, avec une population actuelle de 1.3 milliard, la Chine compte presque le quart de la population mondiale ! Sans la mise en place de cette politique il y a 30 ans, le pays en compterait peut être le double, et n'aurait jamais eu les ressources pour nourrir, ni loger cette population ! Sans cette politique, la Chine ne serait sans doute pas le géant économique (2ème économie mondiale après les USA) qu'ils sont aujourd'hui.

3 comments:

  1. Bonjour à vous deux!
    Merci pour ces commentaires que vous nous apportez sur ce sujet aussi difficile qu'il est intéressant. Cela nous permet de mieux comprendre se sujet si délicat, et de nous montrer la face caché de l'Iceberg.
    Merci encore et profitez à fond de chaque instant!
    Vivez l'instant présent... on ne le dit jamais assez!
    Bises
    Titi

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  2. Grand merci d'avoir parlé de ce sujet si délicat... et pas forcément si bien connu qu'il n'en a l'air.

    Bizzz

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  3. Merci pour cette excellente analyse, qui montre que le sujet de l'enfant unique ne se réduit pas à une seule dimension. Vraiment très intéressant.

    Grégory.

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