Le
Mexique est un carrefour spatio-temporel entre le monde indien
précolombien, le monde latin espagnol, et le monde anglo-saxon
américain. C'est le lieu d'un mélange étonnant et passionnant,
accouchant d'une identité mexicaine haute en couleurs qui nous a
beaucoup plu.
Mélange historique et culturel :
Le
Mexique c'est d'abord le pays des "mexicas" (comme
s'appelaient les aztèques), héritiers des nomades chichimèques
descendus du nord vers le plateau central du pays, et qui se sont mis
dans la lignée des toltèques. Mais le Mexique c'est aussi le pays
des olmecs, mayas, mixtèques, zapotèques, tarasques... toutes ces
civilisations cousines qui se sont succédées et entremêlées dans
la région, qui se sont combattues ou qui ont échangé, et qui ont
érigé des sites incroyables (sans utiliser la roue pour le
transport, plutôt la "main d'oeuvre"), creusé
l'astronomie (pas de fin du monde le 23 décembre 2012, juste un
changement d'ère comme tous les 5000 et quelques ans) et dont ne
savons finalement que peu de choses... Il reste aujourd'hui de tout
cela des pyramides par centaines, mais aussi des langues - on parle
encore beaucoup le nahuatl au centre du mexique, ou au yucatan la
langue ancienne de cette région -, des habits - même si une
proportion très importante de tissus "mayas" vendus dans
le yucatan est aujourd'hui en réalité fabriquée en chine -, des
éléments de cuisines, des éléments religieux – souvent mélangés
au catholicisme –, et tout simplement la majorité des gens qui
descendent tout droit de ces civilisations...
Le
Mexique c'est ensuite le premier pays colonisé par les espagnols,
amenant toute une autre influence latino-européenne dont il reste
aujourd'hui évidemment la langue, la religion catholique -il y a des
églises absolument partout, et l'image de "Notre-Dame de
Guadalupe" est omniprésente-, et les corridas par exemple. La
greffe latine semble avoir finalement bien pris sur les mexicains,
mais c'est peut-être surtout le fait de se retrouver pour réagir
aux interventions occidentales abusives – espagnoles, françaises,
et américaines notamment – qui a forgé l'identité mexicaine
actuelle. Parmi les épisodes historiques mythiques mexicains il y a
ainsi : le 16 septembre 1810 le cri de révolte du prêtre
révolutionnaire créole miguel hidalgo qui mène ensuite la première
insurrection vers l'indépendance, la victoire contre les français
-pourtant plus nombreux- à Puebla le 5 mai 1862, et le sacrifice
héroïque des étudiants de l'école militaire de la colline de
chapultepec, qui sont restés par choix pour défendre le bâtiment
de l'attaque américaine le 13 septembre 1847, l'un d'eux se jetant
dans le vide en s'enroulant dans le drapeau mexicain au lieu de se
rendre (d'après la tradition).
Enfin,
le Mexique est aussi aujourd'hui influencé par les Etats-Unis,
notamment à travers les nombreux mexicains qui y sont installés,
attirés par le rêve américain. Nous avons rendu visite à une très
belle maison d'accueil pour personnes âgées seules, et la plupart
des grand-mères que nous avons y rencontrées avaient eu une dizaine
d'enfants dont un bon tiers étaient généralement installés aux
Etats-unis. Elles expliquaient qu'en comparaison de leur époque la
famille traditionnelle était devenue moins importante, que leurs
enfants étaient plus individualistes, et certaines disaient ne pas
parvenir à communiquer avec leurs petits-enfants devenus "trop
gringos". D'influence nord-américaine probable nous avons aussi
remarqué les convenience stores Oxxo ouvert 24h/24 (nous n'en avions
pas remarqué au Brésil par exemple), les fast food très présents
(et certains établissements semblent penser être élégants en
copiant le style des fast food), le baseball, les salles de fitness,
et aussi une certaine attention à la nourriture saine et à
l'écologie dont nous ne savons si il faut l'attribuer à l'influence
de la Californie, à l'héritage indien, ou à rien de spécial.
Des gens originaux :
Les
mexicains sont des latins, accueillants et chaleureux. Ils ont ce
côté sympa et informel que nous apprécions beaucoup. Nous avons
ainsi été extrêmement bien accueillis par la famille de Benjamin
-le meilleur ami de Clem qui est franco-mexicain-. Les mexicains ont
aussi ce côté frondeur qu'on retrouve souvent chez les latins : on
nous explique par exemple que les gens vont souvent prendre
spontanément plutôt le parti d'une personne poursuivie que de la police qui a poursuit. Si ils ont parfois un côté excessif dans leurs fêtes et
manifestations que l'ont peut retrouver chez les méditerranéens,
les mexicains ont aussi des aspects étonnants qu'il faut peut-être
plutôt attribuer à l'héritage indien : il y un souvent un côté
complètement kitsch et déjanté, par exemple dans la lutte
mexicaine - moins aseptisée que le catch américain - qui déchaîne
les foules. Il y a aussi une fascination pour la mort et un côté
trash – par exemple avec des têtes de mort décorées vendues
partout – dont on ne sait si il faut les rapprocher des sacrifices
humains des aztèques et de la surenchère de dépeçages macabres
auxquels s'adonnent les narcotrafficants dans leurs guerres entre
gangs.
Ce
qui est intéressant, c'est l'impression que les mexicains ne sont
pas tous les mêmes mais qu'ils se reconnaissent dans une identité
mexicaine faite de ces héritages multiples. Même les mexicains qui
n'ont pas de racines indiennes sont fiers de l'héritage des
civilisations précolombiennes (peut-être grâce à des artistes
comme Diego Rivera qui ont revendiqué et revalorisé cet aspect de
la culture mexicaine au milieu du vingtième siècle). Les mexicains
ont aujourd'hui une culture forte. Ils n'ont pas peur des autres, et
dans les échanges avec le voisin du nord ce sont en réalité
peut-être eux qui influencent plus qu'ils ne sont influencés.
Économie :
Nous
avons trouvé l'économie mexicaine plus développée et mieux
portante que ce que nous aurions imaginé. Nous avons croisé partout
des boutiques avec des affiches proposant des emplois de serveurs et
vendeurs. Bien sur ce sont des petits boulots, mais nous n'avons
remarqué nulle part autant de demande. Dans le métro de mexico, les
vendeurs à la sauvette se succèdent littéralement, proposant des
stylos, carnets, chewing-gum, compilations musicales, documentaires
politiques... et ont l'air de bien s'en sortir. Nous ne voyons que
très peu de mendiants - beaucoup moins que les mendiants blancs que
nous verrons en Californie -, et entendons que des mexicains
reviennent un peu du "rêve américain", trouvant
aujourd'hui finalement plus d'opportunités au Mexique qu'aux
Etats-unis. Nous rencontrons aussi des gens qui nous font part de la
facilité à entreprendre : eux-mêmes ont de bons emplois, mais
investissent aussi avec des amis pour monter une école de musique,
des pharmacies, des restaurants.
En
revanche si l'économie semble avancer plus qu'ailleurs, il y au
Mexique une superficialité étonnante : nous avons eu un accident de
bus et avons été amenés à un hôpital avec la quinzaine d'autres
blessés. Nous avons été d'abord impressionnés par la qualité des
infrastructures et de l'attention, avant de réaliser que nous étions
quasiment séquestrés : après 24h les assureurs ne s'étaient
toujours pas rencontrés pour se mettre d'accord sur qui paierait
quoi ; mais surtout aucun rapport médical n'avait été écrit sur
nos cas alors que 3 médecins différents étaient passés au moins 3
fois chacun... Dans un autre registre, en allant sur le Zocalo – la
place principale de Mexico – le jour où Paul McCartney va y faire
un concert, il y a des policiers par milliers pour gérer le
remplissage de la place et fouiller les gens. Nous arrivons à un
barrage et je passe tour à tour devant une dizaine de policiers :
chacun d'entre eux me regarde superficiellement, me tâtant vaguement
une poche, mais finalement personne ne me fouille correctement.
Chaque policier a l'air d'avoir compté sur les précédents ou les
suivants pour faire le boulot. Enfin quand nous prenons un bus d'une
trentaine d'heure pour Nogales (à la frontière américaine), sur
une des routes du nord du pays par laquelle passe une partie du
traffic de drogue, le bus est arrêté une bonne dizaine de fois par
des groupes militaires ou en civil non identifiés. Tous ont l'air
très sérieux, et à un des arrêts, des revêtements intérieurs du
bus sont même dévissés et revissés. Mais au final chacune des
fouilles est un peu superficielle et par exemple personne ne fouille
correctement les bagages des passagers. Il y a comme une focalisation
sur la quantité au lieu de la qualité, et une perte d'efficacité
effarante.
Il
y a en fait un accent sur l'apparence, que ce soit en terme de
sécurité -il faut que ça paraisse impressionnant -, de marketing –
un vendeur utilise beaucoup de mots pompeux pour "convaincre"-,
ou de politique – on vend un politicien beau gosse en mettant son
visage absolument partout-. Comme pour la lutte mexicaine, la
caricature rend crédible.
Drogue
Nous
lisons et entendons des statistiques effarantes sur le trafic de
drogue qui représenterait une part énorme de l'économie mexicaine.
Peut-être est-ce pour cela que les "petits jobs" normaux
n'attirent personne, si les jeunes ont de "meilleures
opportunités" ailleurs ? A Puebla nous passons des tours
rutilantes inutilisées dont on nous dit que la construction a
probablement servi à blanchir de l'argent, et des voitures énormes
dont les propriétaires richissimes ne sont peut-être pas tout
propres... Peut-être que l'économie mexicaine ne va pas si mal en
partie graĉe à cette "bulle de la drogue".
L'ordre
de grandeur est de 50 000 morts depuis 2006, liés à la guerre
contre ou entre les traficants. Il y aurait une corruption énorme et
des liens entre la police et les traficants, entre les politiques et
les cartels. Il y a en ce moment sans cesse des découvertes
horribles de corps mutilés en signe de vengeance de tel cartel
contre tel autre, et des journalistes qui investiguent ou des gens
qui militent contre la corruption sont régulièrement assassinés –
tel un ami d'amis, universitaire assassiné récemment dans des
circonstances louches -.
Certains
parlent d'une véritable guerre civile. Qui sont les responsables de
tout cela dans le fond ? La demande de drogue, quelle qu'elle soit,
justifie les trafics, et les sommes considérables en jeu rendent les
gens prêts à tout... Sans doute qu'au Mexique c'est plus la demande
américaine qui est en cause, mais la demande européenne aide
probablement aussi, tout étant finalement connecté.
Politique
La
politique peut-elle changer quelque chose ? Le 1er juillet prochain
le Mexique élira un nouveau président de la république, pour
succéder à Cardenas, celui qui est arrivé en 2006 et a déclaré
la guerre aux cartels. Nous assistons au 1er débat télévisé (sur
2) avec une famille mexicaine. Passionnant, et nous nous rendons
compte de la chance que nous avons en Europe et en France (le débat
avait lieu quelques heures après l'élection de François Hollande).
Echanges en direct d'amabilités et de photos compromettantes entre
les 4 candidats. Le candidat favori est un beau gosse "vendu
comme un paquet de lessive", avec un budget affichage qui inonde
le pays, et des liens forts avec la plupart des medias. Il est
candidat du PRI, le parti qui a été au pouvoir 70 ans avant que le
PAN ne l'emporte il y 12 ans. Selon certains il est la poupée des
narcotrafficants (il y a aussi des histoires de morts louches dans
son entourage). Il dit plein de choses qui sonnent bien mais ne
propose rien de concret. Il ne parle pas anglais et n'aurait
quasiment rien lu. Il est surtout très beau. Il était donné
largement gagnant jusqu'à récemment : des étudiants l'ont provoqué
et fait fuir lors d'une allocution dans une université, et leur
mouvement de contestation - nommé "#yosoy132" - devant ce
candidat "lessive" menteur et trop proche des medias prend
de l'ampleur grâce aux réseaux sociaux. Aujourd'hui Enrique Pena
Nieto (c'est son nom) n'est plus si sûr de l'emporter. Mais même si
un autre candidat l'emporte, les choses changeront-elles ? Certains
disent que Pena Nieto est supporté par certains cartels mais que
d'autres candidats sont supportés par d'autres cartels...
Dans
tous les cas, nous votons d'une certaine manière aussi depuis les
autres pays, et depuis l'Europe : en sachant ce qui se passe et en le
condamnant ou non. Quelque part "fumer un petit joint, d'autant
plus excitant que c'est interdit", même depuis l'Europe, c'est
aussi voter en faveur de ces cartels, en faveur de tous ces morts et
contre ces mexicains qui tentent de changer les choses et de ne pas
sombrer dans la corruption...
Merci beaucoup pour ce nouvel article très très intéressant !
ReplyDeleteRemarquez, en France, nous avons aussi droit aux échanges d'amabilités en direct... et même à distance (mais sans les photos compromettantes!heureusement!).
Je vous embrasse tous les 2
Véro.