Monday, June 18, 2012

Quelques reflexions en quittant le Mexique


Le Mexique est un carrefour spatio-temporel entre le monde indien précolombien, le monde latin espagnol, et le monde anglo-saxon américain. C'est le lieu d'un mélange étonnant et passionnant, accouchant d'une identité mexicaine haute en couleurs qui nous a beaucoup plu.

Mélange historique et culturel :

Le Mexique c'est d'abord le pays des "mexicas" (comme s'appelaient les aztèques), héritiers des nomades chichimèques descendus du nord vers le plateau central du pays, et qui se sont mis dans la lignée des toltèques. Mais le Mexique c'est aussi le pays des olmecs, mayas, mixtèques, zapotèques, tarasques... toutes ces civilisations cousines qui se sont succédées et entremêlées dans la région, qui se sont combattues ou qui ont échangé, et qui ont érigé des sites incroyables (sans utiliser la roue pour le transport, plutôt la "main d'oeuvre"), creusé l'astronomie (pas de fin du monde le 23 décembre 2012, juste un changement d'ère comme tous les 5000 et quelques ans) et dont ne savons finalement que peu de choses... Il reste aujourd'hui de tout cela des pyramides par centaines, mais aussi des langues - on parle encore beaucoup le nahuatl au centre du mexique, ou au yucatan la langue ancienne de cette région -, des habits - même si une proportion très importante de tissus "mayas" vendus dans le yucatan est aujourd'hui en réalité fabriquée en chine -, des éléments de cuisines, des éléments religieux – souvent mélangés au catholicisme –, et tout simplement la majorité des gens qui descendent tout droit de ces civilisations...
Le Mexique c'est ensuite le premier pays colonisé par les espagnols, amenant toute une autre influence latino-européenne dont il reste aujourd'hui évidemment la langue, la religion catholique -il y a des églises absolument partout, et l'image de "Notre-Dame de Guadalupe" est omniprésente-, et les corridas par exemple. La greffe latine semble avoir finalement bien pris sur les mexicains, mais c'est peut-être surtout le fait de se retrouver pour réagir aux interventions occidentales abusives – espagnoles, françaises, et américaines notamment – qui a forgé l'identité mexicaine actuelle. Parmi les épisodes historiques mythiques mexicains il y a ainsi : le 16 septembre 1810 le cri de révolte du prêtre révolutionnaire créole miguel hidalgo qui mène ensuite la première insurrection vers l'indépendance, la victoire contre les français -pourtant plus nombreux- à Puebla le 5 mai 1862, et le sacrifice héroïque des étudiants de l'école militaire de la colline de chapultepec, qui sont restés par choix pour défendre le bâtiment de l'attaque américaine le 13 septembre 1847, l'un d'eux se jetant dans le vide en s'enroulant dans le drapeau mexicain au lieu de se rendre (d'après la tradition).
Enfin, le Mexique est aussi aujourd'hui influencé par les Etats-Unis, notamment à travers les nombreux mexicains qui y sont installés, attirés par le rêve américain. Nous avons rendu visite à une très belle maison d'accueil pour personnes âgées seules, et la plupart des grand-mères que nous avons y rencontrées avaient eu une dizaine d'enfants dont un bon tiers étaient généralement installés aux Etats-unis. Elles expliquaient qu'en comparaison de leur époque la famille traditionnelle était devenue moins importante, que leurs enfants étaient plus individualistes, et certaines disaient ne pas parvenir à communiquer avec leurs petits-enfants devenus "trop gringos". D'influence nord-américaine probable nous avons aussi remarqué les convenience stores Oxxo ouvert 24h/24 (nous n'en avions pas remarqué au Brésil par exemple), les fast food très présents (et certains établissements semblent penser être élégants en copiant le style des fast food), le baseball, les salles de fitness, et aussi une certaine attention à la nourriture saine et à l'écologie dont nous ne savons si il faut l'attribuer à l'influence de la Californie, à l'héritage indien, ou à rien de spécial.

Des gens originaux :

Les mexicains sont des latins, accueillants et chaleureux. Ils ont ce côté sympa et informel que nous apprécions beaucoup. Nous avons ainsi été extrêmement bien accueillis par la famille de Benjamin -le meilleur ami de Clem qui est franco-mexicain-. Les mexicains ont aussi ce côté frondeur qu'on retrouve souvent chez les latins : on nous explique par exemple que les gens vont souvent prendre spontanément plutôt le parti d'une personne poursuivie que de la police qui a poursuit. Si ils ont parfois un côté excessif dans leurs fêtes et manifestations que l'ont peut retrouver chez les méditerranéens, les mexicains ont aussi des aspects étonnants qu'il faut peut-être plutôt attribuer à l'héritage indien : il y un souvent un côté complètement kitsch et déjanté, par exemple dans la lutte mexicaine - moins aseptisée que le catch américain - qui déchaîne les foules. Il y a aussi une fascination pour la mort et un côté trash – par exemple avec des têtes de mort décorées vendues partout – dont on ne sait si il faut les rapprocher des sacrifices humains des aztèques et de la surenchère de dépeçages macabres auxquels s'adonnent les narcotrafficants dans leurs guerres entre gangs.
Ce qui est intéressant, c'est l'impression que les mexicains ne sont pas tous les mêmes mais qu'ils se reconnaissent dans une identité mexicaine faite de ces héritages multiples. Même les mexicains qui n'ont pas de racines indiennes sont fiers de l'héritage des civilisations précolombiennes (peut-être grâce à des artistes comme Diego Rivera qui ont revendiqué et revalorisé cet aspect de la culture mexicaine au milieu du vingtième siècle). Les mexicains ont aujourd'hui une culture forte. Ils n'ont pas peur des autres, et dans les échanges avec le voisin du nord ce sont en réalité peut-être eux qui influencent plus qu'ils ne sont influencés.

Économie :

Nous avons trouvé l'économie mexicaine plus développée et mieux portante que ce que nous aurions imaginé. Nous avons croisé partout des boutiques avec des affiches proposant des emplois de serveurs et vendeurs. Bien sur ce sont des petits boulots, mais nous n'avons remarqué nulle part autant de demande. Dans le métro de mexico, les vendeurs à la sauvette se succèdent littéralement, proposant des stylos, carnets, chewing-gum, compilations musicales, documentaires politiques... et ont l'air de bien s'en sortir. Nous ne voyons que très peu de mendiants - beaucoup moins que les mendiants blancs que nous verrons en Californie -, et entendons que des mexicains reviennent un peu du "rêve américain", trouvant aujourd'hui finalement plus d'opportunités au Mexique qu'aux Etats-unis. Nous rencontrons aussi des gens qui nous font part de la facilité à entreprendre : eux-mêmes ont de bons emplois, mais investissent aussi avec des amis pour monter une école de musique, des pharmacies, des restaurants.
En revanche si l'économie semble avancer plus qu'ailleurs, il y au Mexique une superficialité étonnante : nous avons eu un accident de bus et avons été amenés à un hôpital avec la quinzaine d'autres blessés. Nous avons été d'abord impressionnés par la qualité des infrastructures et de l'attention, avant de réaliser que nous étions quasiment séquestrés : après 24h les assureurs ne s'étaient toujours pas rencontrés pour se mettre d'accord sur qui paierait quoi ; mais surtout aucun rapport médical n'avait été écrit sur nos cas alors que 3 médecins différents étaient passés au moins 3 fois chacun... Dans un autre registre, en allant sur le Zocalo – la place principale de Mexico – le jour où Paul McCartney va y faire un concert, il y a des policiers par milliers pour gérer le remplissage de la place et fouiller les gens. Nous arrivons à un barrage et je passe tour à tour devant une dizaine de policiers : chacun d'entre eux me regarde superficiellement, me tâtant vaguement une poche, mais finalement personne ne me fouille correctement. Chaque policier a l'air d'avoir compté sur les précédents ou les suivants pour faire le boulot. Enfin quand nous prenons un bus d'une trentaine d'heure pour Nogales (à la frontière américaine), sur une des routes du nord du pays par laquelle passe une partie du traffic de drogue, le bus est arrêté une bonne dizaine de fois par des groupes militaires ou en civil non identifiés. Tous ont l'air très sérieux, et à un des arrêts, des revêtements intérieurs du bus sont même dévissés et revissés. Mais au final chacune des fouilles est un peu superficielle et par exemple personne ne fouille correctement les bagages des passagers. Il y a comme une focalisation sur la quantité au lieu de la qualité, et une perte d'efficacité effarante.
Il y a en fait un accent sur l'apparence, que ce soit en terme de sécurité -il faut que ça paraisse impressionnant -, de marketing – un vendeur utilise beaucoup de mots pompeux pour "convaincre"-, ou de politique – on vend un politicien beau gosse en mettant son visage absolument partout-. Comme pour la lutte mexicaine, la caricature rend crédible.

Drogue

Nous lisons et entendons des statistiques effarantes sur le trafic de drogue qui représenterait une part énorme de l'économie mexicaine. Peut-être est-ce pour cela que les "petits jobs" normaux n'attirent personne, si les jeunes ont de "meilleures opportunités" ailleurs ? A Puebla nous passons des tours rutilantes inutilisées dont on nous dit que la construction a probablement servi à blanchir de l'argent, et des voitures énormes dont les propriétaires richissimes ne sont peut-être pas tout propres... Peut-être que l'économie mexicaine ne va pas si mal en partie graĉe à cette "bulle de la drogue".
L'ordre de grandeur est de 50 000 morts depuis 2006, liés à la guerre contre ou entre les traficants. Il y aurait une corruption énorme et des liens entre la police et les traficants, entre les politiques et les cartels. Il y a en ce moment sans cesse des découvertes horribles de corps mutilés en signe de vengeance de tel cartel contre tel autre, et des journalistes qui investiguent ou des gens qui militent contre la corruption sont régulièrement assassinés – tel un ami d'amis, universitaire assassiné récemment dans des circonstances louches -.
Certains parlent d'une véritable guerre civile. Qui sont les responsables de tout cela dans le fond ? La demande de drogue, quelle qu'elle soit, justifie les trafics, et les sommes considérables en jeu rendent les gens prêts à tout... Sans doute qu'au Mexique c'est plus la demande américaine qui est en cause, mais la demande européenne aide probablement aussi, tout étant finalement connecté.

Politique

La politique peut-elle changer quelque chose ? Le 1er juillet prochain le Mexique élira un nouveau président de la république, pour succéder à Cardenas, celui qui est arrivé en 2006 et a déclaré la guerre aux cartels. Nous assistons au 1er débat télévisé (sur 2) avec une famille mexicaine. Passionnant, et nous nous rendons compte de la chance que nous avons en Europe et en France (le débat avait lieu quelques heures après l'élection de François Hollande). Echanges en direct d'amabilités et de photos compromettantes entre les 4 candidats. Le candidat favori est un beau gosse "vendu comme un paquet de lessive", avec un budget affichage qui inonde le pays, et des liens forts avec la plupart des medias. Il est candidat du PRI, le parti qui a été au pouvoir 70 ans avant que le PAN ne l'emporte il y 12 ans. Selon certains il est la poupée des narcotrafficants (il y a aussi des histoires de morts louches dans son entourage). Il dit plein de choses qui sonnent bien mais ne propose rien de concret. Il ne parle pas anglais et n'aurait quasiment rien lu. Il est surtout très beau. Il était donné largement gagnant jusqu'à récemment : des étudiants l'ont provoqué et fait fuir lors d'une allocution dans une université, et leur mouvement de contestation - nommé "#yosoy132" - devant ce candidat "lessive" menteur et trop proche des medias prend de l'ampleur grâce aux réseaux sociaux. Aujourd'hui Enrique Pena Nieto (c'est son nom) n'est plus si sûr de l'emporter. Mais même si un autre candidat l'emporte, les choses changeront-elles ? Certains disent que Pena Nieto est supporté par certains cartels mais que d'autres candidats sont supportés par d'autres cartels...
Dans tous les cas, nous votons d'une certaine manière aussi depuis les autres pays, et depuis l'Europe : en sachant ce qui se passe et en le condamnant ou non. Quelque part "fumer un petit joint, d'autant plus excitant que c'est interdit", même depuis l'Europe, c'est aussi voter en faveur de ces cartels, en faveur de tous ces morts et contre ces mexicains qui tentent de changer les choses et de ne pas sombrer dans la corruption...

1 comment:

  1. Merci beaucoup pour ce nouvel article très très intéressant !

    Remarquez, en France, nous avons aussi droit aux échanges d'amabilités en direct... et même à distance (mais sans les photos compromettantes!heureusement!).

    Je vous embrasse tous les 2

    Véro.

    ReplyDelete