Thursday, October 20, 2011

Etre une femme (en Inde)


En Inde, il fait bien mieux être un garçon qu'une fille, et cela pour deux raisons principales :


- La dot : C'est l'élément principal qui fait que la naissance d'un garçon est très clairement souhaité et la naissance d'une fille redoutée. En effet, en Inde où la grande majorité des mariages sont encore des mariages arrangés (quelle que soit la religion), la tradition veut que la famille de la jeune fille donne à sa fille des bijoux et un magnifique sari brodé d'or pour son mariage, ainsi que de nombreux cadeaux à sa future belle-famille (habits, montres, moto, sommes d'argent liquide... cela fait l'objet de négociations intenses), et paie la totalité de la réception. De nombreuses familles sont obligées de s'endetter pour pouvoir marier leur fille/sœur/cousine. Il existe même le dicton suivant : « Si on a une fille dans la famille, c'est 3 générations qui deviennent esclaves ». Depuis les années 1970, il y a une loi pour interdire la réclamation d'une dot par la famille du garçon, mais cela n'a rien changé à la pratique.


- Le rôle familial et religieux d'un garçon : Après son mariage, la fille partira dans sa belle famille, ce qu'explique parfaitement un des personnages de « La Cité de la Joie » de Dominique Lapierre : «Ma fille ne m'appartient pas, elle m'a été prêtée par Dieu jusqu'à son mariage. Elle appartient à celui qui sera son mari». (On notera que quoi qu'il en soit, la fille doit appartenir à quelqu'un, que ce soit son père ou son mari, il n'est pas question d'être libre). Le garçon lui ne quittera pas sa famille : il restera habiter chez ses parents tant qu'il y a de la place, et il gardera ses parents chez lui dans leur vieillesse. Il leur procurera une aide domestique (sa femme) et c'est sur sa descendance que trônera la grand-père, patriarche familial. De plus, dans la religion hindoue, il est important de bien accomplir les rites funéraires de crémation afin d'être réincarné de façon favorable dans une prochaine vie. Or, seul un garçon peut accompagner le corps d'un parent sur le bûcher funéraire, ce rôle étant interdit aux femmes, c'est une raison de plus de le garder près de soi (et de bien le traiter).


Ces 2 causes principales ont des conséquences

- Avortement sélectif. Comme en Chine, il est strictement interdit aux médecins de communiquer à des futurs parents le sexe de leur enfant à naître. Seulement, en Inde, tout devient possible avec un backshish, et l'infanticide de petites filles est malheureusement monnaie courante. Et ce n'est pas qu'une question de pauvreté ou d'éducation : certaines familles riches (et éduquées), vont même faire une insémination artificielle en Thaïlande où l'on peut choisir le sexe de son future enfant. Et il demeure qu'aujourd'hui, dans certaines régions, le déficit de filles commence à se faire sentir, et ne tardera pas à poser de graves problèmes de société. (remarque : il y aura peut-être une retombée inattendue : la fin de la pratique de la dot pour les familles ayant une fille à marier...?)

- Education. Quand on a les moyens d'éduquer un enfant mais pas tous, c'est bien évidement celui qu'on va garder que l'on envoie à l'école (alors que la fille va appartenir à sa belle famille). Il y a une différence d’alphabétisation importante entre garçons et filles dans la plupart du pays : parfois l'écart est de plus de 30% ! Or de nombreuses études démontrent le lien entre l'augmentation du niveau d'éducation des femmes, la baisse de la surpopulation (gros problème en Inde) et le développement économique d'un pays. Autant dire que que le choix de ne pas éduquer les petites filles est lourd de conséquences.

- Cercle vicieux. Comme c'est par son fils qu'une mère acquiert statut et respect dans sa belle-famille, celle-ci a tout naturellement tendance à favoriser celui-ci au détriment de ses filles. Lui sera toujours servi le premier, aura des morceaux de choix, tandis que ces dernières devront se lever à l'aube pour aider aux tache ménagères, seront toujours les dernières servies, etc. En témoigne cette scène vue dans un train bondé : un jeune couple et leurs deux enfants (un petit garçon de 3 ans et une petite fille de moins d'un an) montent à bord. Le père arrive à trouver un coin de couchette où il s'assied avec son fils, la mère reste debout avec son bébé dans les bras. Il faudra que Clem aille demander à son voisin de déplacer son sac à dos qui prend de la place sur la couchette pour que la mère puisse s’asseoir, cela ne choquait absolument personne. Et le cercle vicieux se propage de génération en génération car plutôt que de tenter de rétablir l'équilibre entre leurs enfants, les mères sont les premières à perpétuer ce genre de comportement injuste.

Mais attention : en Inde, tout est vrai ainsi que son contraire. L’Inde à eu une femme présidente (Indira Gandhi, fille du premier président Nehru) dès les années 1960, et le personnage politique le plus influent du pays aujourd'hui n'est autre que Sonia Gandhi, la belle-fille d'Indira. Des millions de jeunes femmes vont travailler et gagner leur vie dans les plus grandes villes du pays chaque jour. Elles prennent souvent pour ce faire un train ou un métro comportant un ou plusieurs wagons « réservés aux femmes ». C'est également une femme indienne qui est à la tête du gigantesque groupe Pepsico dans le monde. On ne peut donc pas dire que les choses ne changent pas. 

Mais si on voit une évolution des mentalités dans les villes, à cause de l'influence occidentale et d'une meilleure éducation tant des parents que des enfants, ce n'est pas le cas dans les zones rurales. Comme nous l'a dit un jeune jésuite, ce n'est pas une ou deux générations qu'il faudra pour faire changer le statut des femmes dans les campagnes, c'est plutôt 10 ou 15...

2 comments:

  1. Sujet aussi difficile et passionnant que pour la Chine... Comment le vivent les femmes ? Vous dites qu'elles semblent perpétuer ces comportements. Elles trouvent cela normal ou elles ont peur ?

    Bisous

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  2. Pour les anglophones, une série d'articles intéressants sur le sujet par la BBC : http://www.bbc.co.uk/news/world-south-asia-13264301

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