Sunday, April 24, 2011

La religion et les catholiques au Malawi

Religions traditionnelles
Les religions traditionnelles des ethnies malawaïennes sont monothéistes. Les Chewas, la population la plus importante au Malawi, croient en un Dieu créateur (qui aurait créé un homme et une femme sur la terre, mais aurait été repoussé au ciel par la catastrophe de l'invention du feu), vénérent les bons esprits des ancêtres, et se méfient des mauvais esprits des gens mauvais trépassés. Tout un système moral est décrit par le "gule wamkulu", un ensemble de danses traditionnelles avec des masques représentant différents personnages et comportements bons ou mauvais, pour s'en inspirer ou les railler. Cette danse est notamment utilisée lors de différents rites de passage comme celui de la puberté pour éduquer les jeunes hommes d'un côté et les jeunes filles de l'autre. On éduque les jeunes, et on leur fait notamment passer le message : "ton nom est lié à ton sexe (selon si tu es un garçon ou une fille). Ne montre pas ton sexe à n'importe qui, ne l'utilise pas n'importe comment ou tu perdras ton identité." De manière générale, chez les Chewas mais aussi chez les Ngonis et les Yaos, l'adultère est proscrit. Les Yaos disent "adultery leads to one's destruction", et chez les Ngonis (ethnie proche des Zoulous d'Afrique du Sud ayant immigré au 19e siècle) une fille doit même absolument être vierge pour se marier. Il y a bien sûr beaucoup d'autres éléments intéressants, mais ceux-là nous ont paru particulièrement inattendus pour notre regard un peu simpliste d'européens.


Missionnaires
Le premier missionnaire à être venu au Malawi est le fameux Docteur Livingstone. (Un explorateur missionnaire écossais protestant perdu dans la jungle tanzanienne à la recherche de la soruce du Nil et retrouvé par le journaliste Stanley qui aurait dit en le rencontrant : "Dr Livingstone I presume ?"). Son objectif était notamment d'apporter aux africains "Commerce, Christianisme et Civilisation" (dans cet ordre, avec pragmatisme).

Les missionnaires protestants arrivèrent en premier au Malawi, suivis assez vite par les catholiques. Ces missionnaires se focalisèrent sur l'éducation, et à côté de cela convertirent petit à petit tout le pays. Chez les catholiques, deux congrégations d'origine française vinrent au Malawi : les pères blancs (Les missionnaires d'Afrique, fondés par le cardinal Lavigerie en 1868) au Nord, et les montfortains (La compagnie de Marie fondée par Saint Louis-Marie Grignion de Montfort en 1705) au Sud.

De nombreux missionnaires arrivèrent avec l'idée très répandue à l'époque (et encore aujourd'hui ?) que les africains étaient inférieurs, et donc qu'il fallait absolument leur apporter, voire leur imposer la religion et la civilisation européenne. Beaucoup n'eurent que peu de respect pour les cultures locales mais certains eurent un vrai souci de comprendre et de respecter les locaux et leur culture. Ainsi à Mua, les pères blancs ont commencé par rejeter les danses du Gule Wamkulu qu'ils ne comprenaient pas, et qui leurs paraissaient obscènes à cause des références sexuelles destinées à éduquer les adolescents. Mais l'un d'eux, le frère Jean-Baptiste Champmartin, trouva simplement que c'était une sorte de cinéma local. Ce père blanc resta 43 ans à Mua, jusqu'à sa mort à 70 ans. Ouvert, plein de bon sens et appréciant chacun et chacune telle qu'il était, il a cherché vivre avec les gens de Mua et à les comprendre : il devint extrêmement apprécié par les locaux qui le surnommèrent "Chamare" et se souviennent encore de lui. Par son ouverture, son respect et son humilité il jeta les fondations d'un dialogue respectueux et critique entre la religion et culture occidentale et la religion et culture malawaïenne. C'est ce qu'on appelle l'inculturation. Plus tard, en 1976, le père Boucher, surnommé "Chisale" par les gens de Mua, fonda l'extraordinaire centre culturel KuNgoni dont nous avons déja parlé, qui s'est attaché à comprendre et à préserver un maximum d'informations sur les cultures locales, et sur les
fameuses danses du Gule Wamkulu.


Inculturation
L'inculturation est donc le dialogue qui permet à une culture d'embrasser la religion catholique tout en gardant ses racines et son sens critique, et qui permet en retour d'enrichir la religion catholique de nouveaux points de vue et de nouvelles pratiques. Après une phase plutôt monolithique et rigide au départ, l'Eglise catholique du Malawi s'est petit à petit ouvert à ce processus.

Concrètement, à Mua, l'inculturation se voit depuis les années 1970 dans les oeuvres produites : les artistes du centre culturel KuNgoni s'inspirent de la vie, de la symbolique, des images et des mythes malawaïens, et les utilisent pour représenter, s'approprier voire enrichir des concepts catholiques. De la même manière la liturgie de la mission de Mua est enrichie de chants et de danses traditionnelles revisités.

Sous la direction de l'évêque malawaïen Patrick Kalilombe, une autre initiative d'inculturation est apparue dans les années 1970 : enrichissant la vie de l'Eglise du sens de la communauté qui est si important en Afrique, le concept de "small catholic communities" a été développé. Concrêtement, il s'agit pour les fidèles laïcs de se rassembler en petit groupe d'une vingtaine de personne pour vivre leur foi ensemble. Ce sont comme des sous-groupes au sein des paroisses, parfois consacrés à un saint, qui vont à la messe ensemble et se retrouvent pour discuter, réfléchir, se former, prier ensemble, soutenir moralement et financièrement ceux qui en ont besoin...

Ces "petites communautés catholiques" ont eu un succès extrêmement important et ont aussi participé à un mouvement de conscientisation des gens, qui aurait inquiété le dictateur Banda : en 1979 l'évêque Patrick Kalilombe a été expulsé du pays, pour des raisons non divulguées. L'Eglise Catholique malawaïenne, sans doute échaudée et apeurée, s'est alors un peu endormie, et sa hiérarchie n'a plus trop osé prendre d'initiative révolutionnaire.

Pourtant, au grand étonnement de beaucoup, en 1992 (soit 3 ans après la visite de Jean-Paul II au Malawi en 89, qui est probablement liée à ces événements), les évêques malawaïens catholiques ont publié une lettre pastorale très courageuse, dans laquelle ils ont dénoncé l'injustice sociale, la corruption, la violation des droits de l'homme, et les erreurs du gouvernement. Ils ont aussi alors appelé toutes les autres églises chrétiennes à se joindre à un dialogue sur ces questions. La réaction du dictateur ne s'est pas faite attendre et les évêques ont été questionnés, menacés, et l'un d'eux a été expulsé du pays. La lettre pastorale a été interdite, des paroissiens ont été harcelés, des propriétés de l'Eglise ont été confisquées, le site d'impression de la lettre a été brûlé, une vague d'emprisonnements sans procès a eu lieu, et des étudiants qui ont protesté ont été tués. Les troubles ont débouchés sur une instabilité politique qui a finalement donné lieu à un référundum sur un système multipartiste, et à l'arrivée de la démocratie.


Aujourd'hui
Aujourd'hui, 75% des malawaïens sont chrétiens et 12% sont musulmans. Les relations entre les confessions et religions sont historiquement bonnes. Il y a aussi quelques hurluberlus qui s'auto-proclament évêque ou cardinal de leur nouvelle église. 20% des malawaïens sont catholiques, et d'après le père Sam, l'Eglise catholique est très dynamique, innovante, et est celle qui attire le plus grâce à une inculturation avancée.

L'Eglise catholique est aussi un acteur important dans de nombreux domaines : éducation, soins médicaux généraux (toutes les missions comporte une école et un hôpital, et certaines sont vraiment très importantes), soins des maladies mentales, distribution de repas (notamment par l'organisme "Mary's meals" autour de Blantyre), soins aux séropositifs (notamment Sant Egidio à Blantyre)... Les autres églises et religions sont aussi bien sûr très actives.

Messes et rencontres
Nous sommes allés deux fois à la messe à la cathédrale de Blantyre, qui était archi-remplie à tous les services (3 services le dimanche matin), de noirs de toutes classes sociales confondues. En allant aux services en anglais, très proches de ce que nous connaissons en Europe et ne durant qu'une heure, nous avons pu comprendre quelque chose malgré l'accent du prêtre malawaïen : nous l'avons trouvé très fin et nous nous sommes bien retrouvés dans ses messages.

Nous sommes aussi allé à la messe dans le petit village de Likhubula, au pied du Mont Mulanje : l'église était là aussi pleine. En revanche tout était en chichewa. Nous avons été très bien accueillis, invités à nous présenter en 2 mots devant toute l'assembée et applaudis avec chaleur. Nous avons salué le prêtre mais il ne parlait presque pas anglais.

Nous n'avons malheureusement pas pu allé à la messe à Mua, mais avons entendu que l'église était systématiquement comble, et que hors des périodes de Carême, il y avait une liturgie inculturée qui nous aurait sans doute beaucoup intéressés. Et nous avons rencontré le fameux père Boucher (canadien), fondateur du centre culturel KuNgoni qui nous a beaucoup parlé d'inculturation, et que nous avons trouvé un peu pessimiste sur la culture malawaïenne qu'il voit se dissoudre dans la fascination pour l'occident.

A Nkhata Bay, nous avons eu la chance d'assister à la formation d'une "petite communauté catholique" lors de la messe : la vingtaine de membres, essentiellement féminins, s'était habillée dans une sorte d'uniforme et a formulé des voeux. Cette messe là a duré presque 3h, les chants étaient magnifique, dirigés par un type très précis. Parfois des gens se levaient pour danser un peu sur place ou crier de joie. Et surtout nous avons rencontré le père Samuel, qui nous a invité à déjeuner, et que nous avons revu pour boire une bière 2 jours plus tard. Nous avons beaucoup parlé et découvert un jeune curé malawaïen confiant et sage.
Enfin, nous avons rencontré à Mzuzu le Brother Aiden, frère de St Jean de Dieu irlandais, qui nous a parlé des maladies mentales au Malawi. Un type positif, vraiment bien.

Conclusion
En conclusion nous avons été très enthousiasmés par cette Eglise qui bouge, qui progresse depuis le début du XXe siècle, et qui a tant à apporter à l'Eglise et à l'Occident en général. Finalement ce concept d'inculturation pourrait être élargi hors du contexte catholique et s'appliquer à tout dialogue, à toute relation interreligieuse, interculturelle et voire interpersonnelle. Il s'agit de générer un dialogue critique et constructif dans le respect des deux entités dialogantes. De la même manière d'autres concepts de l'Eglise devraient nourrir les débats : ainsi le concept de "développement intégral" de l'homme se rapproche beaucoup de la "vision holistique", ou du concept d'entreprise responsable, sociale, écologique... tant à la mode aujourd'hui, à juste titre. Dans tous ces cas, il s'agit juste de vouloir prendre en compte tous les paramètres quand on parle d'homme ou d'entreprise ou de projet. Mais pour que la voix de l'Eglise, fruit d'une sagesse (et d'erreurs dépassées) accumulée et ruminée depuis 2000 ans, puisse servir à tous, encore faut-il que tous (et même les catholiques !) prennent le temps de regarder ce qu'elle dit, avec un regard honnête, purifié de ses préjugés...

source : African Theology in Images, Martin Ott

1 comment:

  1. Merci beaucoup pour ces articles que je découvre au retour de Provence. Vous vous forgez une sacrée culture générale.

    ReplyDelete