L'Inde est un véritable continent : différent, complexe, passionnant, exigeant, fatigant et spirituel. En 2 mois nous y avons été submergés, étonnés, énervés et touchés.
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Submergés :
L'intensité du spectacle dans ce pays est incroyable. Tous les sens y sont sollicités, dans une mesure bien plus importante que dans d'autres pays. En ville, il est courant de devoir se frayer un chemin dans la masse de passants, faire attention où l'on marche, contourner un tas d'ordures ou un trottoir défoncé tout en faisant attention aux voitures bruyantes et klaxonnantes mais aussi aux rickshaws plus silencieux mais pas moins dangereux quand ils sont lancés. Les couleurs des saris des femmes ou des étals sont très vives et magnifiques, les visages et les allures sont souvent remarquables, mais on croise aussi des éclopés et des malades aux aspects les plus repoussants, ou des gens qui font leurs besoins dans la rue. Des odeurs d'encens, d'épices ou d'urine surgissent et nous prennent au nez. Le bruit est en général d'un niveau très élevé, avec des pointes insupportables pour nous - notamment de klaxons sur-performants utilisés à tout bout de champ. On se frotte aux gens dans les zones denses aux heures de passage, ou dans les rassemblement politiques ou religieux. On se déchausse souvent pour pénétrer pieds nus dans un temple ou une maison. Enfin, la cuisine est excellente, mais gare aux épices ! Pour des occidentaux, cette intensité est épuisante. D'autant plus qu'on est souvent aussi alpagué ou sollicité car on éveille la curiosité et les intérêts financiers.
Étonnés :
Le pays est immense, extrêmement peuplé, avec des cultures, religions, et conditions de vie très variées; fascinant, plein de contrastes, et difficile à cerner. Quand on tire une conclusion sur ce pays, son contraire est très souvent vrai aussi. On est pas sûr de tout saisir, de tout comprendre et de tout assimiler.
En voyageant en Inde, on a plus qu'ailleurs l'impression de voyager dans le temps : bien sûr en visitant des sites culturels extrêmement anciens dans lesquels on a aucune peine à s'imaginer le passé. Mais aussi et surtout dans la vie de tous les jours où nombre de choses nous paraissent fonctionner comme au moyen-âge. En voyant l'état des routes, la propreté des gares et des trains, la qualité des véhicules utilisés, des comportements à nos yeux aberrants, l'Inde semble parfois encore archaïque. Par beaucoup d'aspects plus proche de l'Afrique que de la Chine dont elle aimerait pourtant se rapprocher.
A notre arrivée à Delhi depuis la Chine nous nous sommes étonnés de ne voir que très peu de signe de modernité : il n'y a presque aucun immeuble à Delhi, tout juste quelques centres commerciaux et gratte-ciels à Gurgaon, le nouveau centre économique voisin (équivalent de la Défense). Mais cela reste très modeste à côté du centre économique de la moindre ville chinoise... Nous nous étonnons de la fermeture économique du pays, bien plus importante que ce que nous imaginions : à part KFC, coca et pepsi, nous avons l'impression de ne pas trouver facilement de produits étrangers. On nous explique que les taxes d'importation sont très élevées, qu'il est par exemple interdit pour les grands groupes de distribution étrangers (wal-mart, carrefour) de faire du B2C, que les constructeurs de voitures ont été obligés de s'allier à des constructeurs indiens pour essayer de pénétrer un peu le marché. Une fermeture économique qui ne profite pas forcément aux indiens en général...
Pendant notre voyage nous avons aussi été souvent étonnés par le fait que de nombreux indiens nous ont semblé agir en suivant une sorte d'impulsion intérieure, sans prendre en compte la réalité extérieure. Nous nous sommes plusieurs fois fait aborder par un chauffeur de taxi, le regard plein d'espoir : "airport ?". Nous n'avons pas nos bagages et n'avons pas l'air de chercher de taxi : Il a juste vu des blancs et pour lui les blancs rimant avec argent, il leur propose la course la plus chère. Un autre type vend des coussins gonflables dans la rue : il ferait un carton près d'une gare mais il n'y a pas pensé, il s'est mis entre les jouets pour enfants et les brosses à dent dans un passage miteux où il passe autant de gens que partout ailleurs. Dans un train, un type passe pour vendre des cotons-tiges...
En lisant le journal un matin, nous tombons sur une brève qui explique que désormais dans le Punjab, une indemnisation de 1 lakh de roupies (~1500 €) sera donnée aux famille dont un des membres décéderait d'une morsure de serpent. Pas besoin de beaucoup d'imagination pour entrevoir les abus que cela risque de générer. Dans la même veine nous lisons autre part que pour lutter contre le phénomène des femmes battues un gouvernement local a décidé de rétribuer d'une certaine somme toute femme battue qui "répondrait" à son mari et le battrait en retour...
Peut-être que le manque d'éducation de qualité pour tous explique un certain manque de pragmatisme. Mais on nous explique aussi que dans le monde du travail il est assez courant que des gens se prennent pour ce qu'ils ne sont pas.
Énervés :
Dans certains endroits, pas forcément touristiques pourtant, nous nous heurtons à une mentalité de petite arnaque qui nous fatigue. Les petites tromperies pour touristes peuvent paraître courantes, mais elles nous semblent particulièrement répandues en Inde (bien plus qu'en Chine ou qu'en Afrique), et symptomatiques d'un état d'esprit plus problématique.
Ainsi il nous faut parfois demander à 15 taxis avant de tomber enfin sur un conducteur qui accepte d'utiliser son compteur au lieu de nous demander un tarif exorbitant au prétexte que nous sommes blancs. En achetant des bouteilles d'eau à la gare, on nous demande un prix plus élevé que le prix officiel pourtant affiché en évidence. Quand on le lui fait remarquer, le vendeur a le petit sourire d'un adolescent qui sait très bien qu'il est dehors de la règle mais qui n'a pas peur. Il essaie juste de grappiller.
Nous allons rendre visite à une ONG. L'auto-rickshaw a du mal à trouver l'adresse. Il nous explique alors tout à coup que cette ONG n'existe peut-être pas : selon lui 90% des ONG en Inde sont factices, et consistent juste en une façade miséreuse à montrer à des étrangers pour les transformer en généreux donateurs...
A Agra nous voulons prendre un auto-rickshaw (tricycle couvert à moteur) et nous négocions le prix qu'on nous propose à cause de nos têtes de touristes. Le conducteur nous dit "ok, je baisse le prix mais alors vous vous laissez amener dans un magasin pour touristes, vous restez 10 minutes sans rien acheter si vous ne voulez pas, et comme ça je touche 50 roupies de commission de la part du magasin pour vous avoir amené, et ça compense". Ce système de commissions est très développé, et les guides ou chauffeurs emmènent souvent leurs clients là où la commission est la meilleure - évidemment répercutée sur les tarifs - et non là où ils auront le meilleur service et le meilleur prix.
A Mysore nous visitons le palais et ses jardins en entrant par le côté sud, l'entrée officielle. Mais terminant notre promenade au niveau de l'entrée nord nous demandons à tout hasard aux gardes - qui se prélassent à l'ombre sur des chaises - si ils peuvent nous ouvrir car cela nous économiserait du chemin. "Impossible", répondent-ils. Pas de problème nous ferons le tour. Mais l'un d'eux nous hèle et nous explique que si nous laissons un petit pourboire nous pourrons passer... Outrés, nous refusons.
En tant que touriste de passage on peut trouver que l'Inde n'est pas chère pour nous et que finalement tout s'achète. On peut fermer les yeux sur les commissions en se disant qu'on est tout de même content et en achetant sa tranquillité. Mais quand on achète quelque chose on a une responsabilité : notre façon de dépenser notre argent à une réelle influence. On cautionne ce pourquoi on paie, en quelque sorte on vote pour ça. En jouant le jeu d'un système de petites rapines, de commissions, de détournement ou de petite corruption, on encourage des comportements dramatiques pour l'Inde. Car les gens bernés ne sont pas uniquement les touristes blancs mais tous les visiteurs (et les touristes, visiteurs ou migrants indiens représentent bien plus de monde). Et si tous ces montants ne sont pas importants pour nous, ces attitudes faussent l'économie, en augmentant les prix au détriment des plus pauvres. De la même manière on nous explique qu'en Inde beaucoup de choses fonctionnent avec des passe-droits. Et comme cela devient une habitude, les classes moyennes se font systématiquement rackettées, et les plus pauvres ne peuvent tout simplement pas accéder aux services les plus élémentaires qui sont censés être publics et même parfois gratuits, car ils n'ont pas les moyens de payer le "pourboire" ou la commission qui "facilite" la démarche.
Cette mentalité, qui consiste à piquer ce que l'on peut en fonction du pouvoir ou de l'information que l'on a et que le client n'a pas, est sans doute un des problèmes les plus dévastateurs qui ralentit le développement indien.
Touchés :
Si nous avons rencontré de nombreux filous en Inde, nous avons aussi rencontré des gens souriants, curieux, fins et accueillants partout, quelles que soient leurs origines ou leurs statuts. Beaucoup d'indiens croisés ont juste voulu nous prendre en photo (ou se faire prendre en photo par nous ou avec nous), mais beaucoup se sont aussi enquis de notre état en nous apercevant dans la foule, avec une délicatesse rare.
La famille et la communauté sont très importantes en Inde : si le mariage arrangé a encore beaucoup cours en Inde, c'est surtout parce que les jeunes, même très éduqués et ayant travaillé à l'étranger, font confiance à leurs parents. Ils pensent que ceux-ci les connaissent mieux qu'eux-mêmes et qu'en voulant leur bien ils sauront trouver le meilleur partenaire (aujourd'hui en général les jeunes doivent valider le choix parental et ne sont pas forcés !). Et l'Inde nous rappelle encore l'Afrique lorsque nous découvrons à quel point certains indiens sont choqués par le concept de maison de retraite : pour eux, les grands-parents doivent vieillir et mourir dans la maison familiale ou chez un de leurs enfants.
Enfin les indiens sont très spirituels. Les croyances des uns et des autres sont très respectées. Il y a une grande ouverture, et l'idée que chacun peut suivre son chemin. Ce côté spirituel est un point qui nous semble primordial et que nous développerons séparément.
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Nous installerions-nous en Inde ? Pas évident. Pour s'installer en Inde il faut un "kit de survie" : un minimum de confort et de propreté dans un endroit calme, de la patience, de la rondeur, et surtout de l'humour !
Merci beaucoup pour cette analyse très intéressante... Il y a vraiment des choses étonnantes voire décalées. Ce n'est pas du tout le mode de vie auquel nous sommes habitués. S'installer et vivre dans un tel pays quand on vient d'une culture comme la nôtre doit en effet certainement demander de grandes capacités d'adaptation...
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