Wednesday, May 2, 2012

Quelques réflexions en quittant le Brésil

Gentillesse
La première chose que nous retiendrons du Brésil, c'est la gentillesse des brésiliens et leur accueil chaleureux. Rarement comme au Brésil nous aurons été autant été invités chez des gens que nous connaissions à peine, en toute simplicité. Dans l'ensemble les brésiliens sont souriants, chaleureux, et peu stressés. Même à Sao Paolo, alors qu'un jour dans le métro à l'heure de pointe les portes ne s'ouvrent plus pendant quelques stations et que certaines personnes ont certainement raté leur arrêt, les gens rigolent. Nous avons de la chance, elles recommencent à s'ouvrir à la station où nous descendons. Surtout, nous nous disons qu'à Paris l'attitude des passagers n'aurait pas été la même.
Cultures
La culture brésilienne est multiple : nourrie de racines indigènes, d'Afrique, d'Europe, et même d'Asie (il y a par exemple beaucoup de japonais à Sao Paolo) elle diffère beaucoup selon les régions - avec par exemple des cuisines proche de l'Argentine au sud, de l'Afrique à Bahia, amazonienne au Nord...-, mais est toujours dynamique et riche. Surtout, les brésiliens se retrouvent tous pour une chose : la musique (et tout ce qui y est associé : la danse et la fête). Jamais nous n'avons entendu autant de musique qu'au Brésil, de tous les styles imaginables (étonnemment d'ailleurs, nous n'avons jamais autant entendu les Beatles qui y sont encore ultra populaires).
Mixité
Le Brésil, en général, c'est une grande salade. La cuisine aux influences les plus diverses reflète bien la société : on prend ce qu'on a, on mélange des choses très variées et on voit ce que ça donne. On est pas inquiet, ça ne peut pas être mal. Il y a au Brésil des gens de toutes les cultures, et de toutes les couleurs. Pourtant le cliché d'une société harmonieuse sans racisme n'est pas tout à fait vrai. Comme à beaucoup d'endroits, plus la peau est foncée, moins on est riche, et moins on est valorisé. On nous raconte ainsi l'histoire de la mère de Ronaldo – qui a la peau foncée- qui s'est vue dire qu'elle devait prendre l'ascenseur "de service" et non l'ascenseur "social" (c'est ainsi qu'on appelle l'ascenseur principal au Brésil).
Insécurité
Une autre idée qui nous a parue exagérée est celle de la dangerosité du pays. Bien sûr, comme partout, on ne va pas n'importe où à n'importe quelle heure sans se renseigner. Et le Brésil a des statistiques particulièrement effrayantes (25 homicides par an pour 100 000 habitants contre 1 en France). Mais tout Rio n'est pas un immense coupe-gorge comme on pourrait en avoir l'impression quand on entend parler du Brésil de loin. Tout comme Salvador n'est pas un immense coupe-gorge comme certains paolistas (habitants de Sao Paolo) ou cariocas (habitants de Rio) aisés peuvent parfois le sous-entendre. Comme bien souvent, l'insécurité concerne dans la grande majorité des cas des zones défavorisées. De la même manière le terme de “favela” s'applique à un endroit où les logements sont informels : il y a des favelas dangereuses, d'autres moins, et certaines pas du tout. Il ne faut pas généraliser et ostraciser, il faut, comme partout, se renseigner. Et comme nous a dit notre hôtesse à Bélem quand nous lui avons demandé par quelle rues nous pouvions rentrer la nuit : “Soyez juste attentifs, et si une rue est vide ou mal éclairée et que vous ne la sentez pas, contournez-la”. 
Eldorado
L'image d'Eldorado du Brésil ne nous a pas non plus convaincue. Il est vrai que nous avions de grandes attentes, et que nous imaginions un développement impressionnant, efficace et sans entrave. Mais nous avons senti quelque chose de “bancal” dans la manière dont fonctionne ce pays, auquel nous ne nous attendions pas. Et ce n'est pas uniquement notre impression mais bien aussi celle de gens rencontrés, qui y vivent depuis longtemps. 


Le Brésil est tout d'abord un pays très très cher. Les prix sont quasiment les mêmes qu'en Europe, mais pas forcément pour la même qualité. Cela s'explique par un système de taxe vertigineux : il existe des taxes d'importation très importantes qui ferment le pays aux produits étrangers, ou les renchérissent considérablement, mais il existe aussi des taxes à la production énormes. Les prix étant très élevés, les inégalités se font d'autant plus sentir. Il y a au Brésil des gens très très riches – les hélicoptères à Sao Paolo sont une des fiertés de la ville -, et des très très pauvres (le Brésil est 75e en indice de Gini – qui calcule l'écart entre les riches et les pauvres -. La France est 8ème, ce qui n'est pas si mal).
On nous explique que le pays produit en fait peu de choses -il n'y a pas de constructeur automobile brésilien par exemple, à la différence de pays comme l'Inde, la Chine ou la Corée- alors que le marché est important (presque 200 millions d'habitants). Le Brésil exporte surtout des matières premières (minerais, soja et boeuf notamment produits en Amazonie au détriment de l'environnement) qui sont transformées ailleurs. En échange le pays achète la plupart des biens élaborés à ses partenaires. Cela est sans doute tenable tant qu'il y a des ressources -elles sont énormes, et on a encore découvert récemment du pétrole au large de Rio-, mais ne stimule pas le pays, la production, la créativité, et l'emploi privé.
Etat
L'Etat récolte toutes ces taxes et les réutilise dans ses programmes aux niveaux fédéraux et régionaux. Mais l'Etat brésilien est un mastodonte aux politiques coûteuses et qui met des règles et des procédures partout. Il paraît ainsi que le système fiscal est d'une complexité étonnante. Le système de retraites brésiliens est aussi le plus généreux au monde, donnant droit à une retraite conséquente dès qu'on a atteint un certain âge sans obligation de cotisation, ce qui sera complètement intenable dès que la population brésilienne commencera à vieillir (d'après the economist). Malheureusement dans le même temps le système scolaire est souvent très insuffisant (bien que les enfants aillent désormais à l'école grâce au système de "bolsa familial" que Lula a mis en place : des allocations familiales conditionnées par la scolarisation des enfants). Et la corruption est apparemment très répandue, notamment aux niveaux les plus locaux.
Le résultat est que le Brésil parvient à conjuguer procédures et foutoir (le sport national est de contourner les règles et procédures), inefficacité (emplois d'Etat pantouflards plus ou moins utiles), et corruption. Ainsi de nombreux projets seraient mal calibrés, avec des surcoûts liés à la corruption, des délais mal tenus, une qualité rognée – on nous parle des problèmes que la FIFA a en ce moment avec les chantier brésiliens pour la coupe du monde...-. On voit aussi au Brésil des choses aberrantes : par exemple des voitures avec des phares bleus, ou rouges. Ça n'éclaire rien du tout la nuit mais on nous explique que c'est la mode... On nous dit aussi qu'il faut se méfier de la police fédérale : en allant à une plage à Rio les amis qui nous emmènent en voiture nous expliquent que nous allons passer par un endroit où la police fédérale fait souvent des barrages et demande des backschichs aux gens au moindre prétexte trouvé. Ces barrages sont notamment fréquents avant Noël afin de se permettre de plus beaux cadeaux...
En bref certaines régions du Brésil pourraient faire penser, par certains aspects et dans une certaine mesure, à l'Inde : inefficacité, bazar, règles étranges, emplois inutiles, corruption, manque de pragmatisme et aberrations très drôles à constater mais certainement moins drôles à vivre. Mais si nous appuyons sur ces aspects du Brésil, c'est surtout pour tempérer l'image d'eldorado que ce pays a aujourd'hui, qui nous semble exagérée. En réalité, 2 mois pour traverser et comprendre un si grand pays, c'est insuffisant : notre perception est probablement biaisée par le fait que nous nous sommes plus concentrés sur le nord, sans visiter des villes comme Curitiba, Porto Alegre ou Brasilia, plus développées et dans des états plus modernes. Mais dans tous les cas si cette image d'Eldorado peut peut-être s'appliquer à certaines régions, elle ne s'applique certainement pas à toutes, et pas sans bémol.
Le Brésil est quand même un pays qui avance (et qui essaie de changer sur certains des aspects mentionnés). Aujourd'hui il est devenu la 6ème puissance mondiale devant le Royaume-Uni, et on nous explique qu'il étend son influence économique et politique sur toute l'Amérique latine, qu'il investit en Afrique, et que c'est pour cela que Djilma, sa présidente, peut élever la voix devant les autres puissances, européennes et américaines. 
Consumérisme
D'ailleurs si le Brésil nous a fait un peu fait penser à l'Inde, il nous a aussi fait penser à la Chine : c'est le pays après la Chine dans lequel nous avons vu le plus de grues et de chantiers (mais le Brésil n'a enregistré une croissance que de 2,7% en 2011, pour une inflation à 6,9%...). C'est aussi le pays après la Chine qui nous a plus impressionné par ses centres commerciaux immenses et clinquants, ses classes moyennes qui accèdent à un certain confort et se précipitent pour consommer, gâcher, et polluer. Les soirs de week-end à Santarem - une ville au milieu de l'Amazonie -, les jeunes rivalisent en bruit avec les sonos de leur 4x4 rutilants alignés le long de la promenade qui surplombe le fleuve pour faire danser les passants. Au Brésil on nous a aussi commenté que la plupart des gens sont en surpoids, et dans des proportions impressionnantes, à l'exception des classes aisées qui font attention à leur corps et pas seulement en terme de chirurgie esthétique. 

Mais ce qui nous a le plus étonné c'est que cette consommation brésilienne se fait à crédit : même la nourriture s'achète en plusieurs fois... Après la crise de 2008, cela nous a semblé suspect. Et au moment où tous se préoccupent de plus en plus de l'environnement, le fait de vivre d'une rente de matières premières et agricoles exploitées souvent au détriment de l'amazonie, cela semble anachronique.
Avec la perspective de la Coupe du Monde de Football (2014), et des Jeux Olympiques (2016 à Rio), le Brésil s'emballe. Ces événements seront peut-être un test de maturité, et une présentation du pays sous les projecteurs internationaux, un peu comme en Chine en 2008 avec les JO de Pékin et en 2010 et l'exposition universelle de Shanghaï. Mais là aussi des personnes vivant au Brésil nous ont confié suspecter une bulle dans l'emballement actuel...
Dans tous les cas nous seront très probablement de retour au Brésil en 2013 pour les JMJ à Rio. Nous serons alors très heureux d'y retrouver les si gentils brésiliens, et surtout de vivre un moment très fort, dans un pays où l'église est belle et engagée. (voir le post sur les religions au Brésil, à venir)

source : http://www.ambafrance-br.org/IMG/pdf/_France-Bresil-Chiffres-2011_.pdf

1 comment:

  1. Un grand merci pour toutes ces explications très intéressantes !

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