Friday, December 16, 2011

Quelques réflexions en quittant la Chine

La Chine est un pays énorme, pluriel. Nous ne pouvons certainement pas prétendre avoir tout compris (ne serait-ce qu'à cause de la barrière de la langue) et comme d'habitude, les réflexions qui suivent ne sont que nos impressions personnelles apres 3 mois de voyage.
Ce pays fascinant est en marche à une vitesse incroyable, malgré sa taille gigantesque, et fait face à des défis importants. Le monde occidental le juge parfois peut-etre un peu vite car il en a peur. La Chine réserve pourtant certainement des surprises, et a peut etre des choses tres positives à apporter.


1/ La Chine en mouvement

Constructions
L'image que nous retenons de la Chine, c'est la grue. Elle est omniprésente dans tous les coins où nous sommes passés : un nouveau gratte-ciel-le-plus-haut-du-monde en construction dans le quartier des affaires de Shanghaï, tout comme des quartiers entiers de dizaines d'immeubles de 20 étages dans la périphérie de chaque ville, d'immenses viaducs au milieu des déserts du Xinjiang, des routes en Mongolie Intérieure, des routes et des tunnels dans les contreforts du Tibet, des villages flambants neufs à côté de vieux villages dans les campagnes... Le pays est un gigantesque chantier.
Les chinois façonnent littéralement le paysage, construisent beaucoup et vite : en prenant le train pour Kashgar (à l'extrême ouest du pays, près du Pakistan) nous réalisons que la ligne va déjà 500 km plus loin que ce que notre guide - pourtant tout juste paru - ne mentionne.

Développement
Surtout, nous avons en Chine l'impression que le pays est beaucoup plus développé que ce que nous imaginions : invités chez une chinoise à Yecheng (petite ville perdue de 20 000 habitants), nous sommes très surpris de découvrir un appartement très propre d'une soixantaine de mètres carrés, avec salle de bain et cuisine équipées, immense écran plat et décorations diverses. Elle a plutôt une situation simple (elle est professeur d'anglais à l'école publique et mère célibataire), mais vit pourtant dans un confort auquel nous ne nous attendions pas.
Dans ce pays, les proportions ne sont pas les mêmes et beaucoup de choses nous semblent démesurées : la moindre ville nous paraît énorme, quasiment inhumaine. On nous parle aussi d'un projet titanesque de pipeline devant apporter de l'eau au Xinjiang depuis la mer de chine après l'avoir désalinisé. La Chine a besoin d'une croissance phénoménale - qui tire des millions de gens de la pauvreté - pour alimenter l'activité du pays et acheter la paix sociale : elle lance des grands projets tous azimuts.

Trop vite
Mais si les chinois construisent vite, ils construisent aussi parfois trop vite, ou mal. Nous passons souvent par des hôtels qui étaient tout neufs et tout clinquants il y a peu, mais qui ont vieilli très vite : les portes ferment mal, les lampes sont branlantes, tout se délite. On nous explique aussi que les routes refaites sous nos yeux seront à refaire dans quelques mois. Deux éléments impactent la qualité des travaux en général : la superficialité d'un travail trop rapide, et la corruption (on rogne sur la qualité pour détourner plus de fonds). Cet été les retards et dysfonctionnements sur les nouvelles lignes de chemin de fer à grande vitesse, et un grave accident de train, ont montré les risques que prend la Chine en construisant si vite.

Matérialisme
Au milieu de cette activité et de cette croissance, et au sortir de plusieurs décennies de communisme "hardcore", les chinois sont en quelque sorte des "nouveaux riches". Le clinquant est apprécié, le matériel est valorisé. On nous explique qu'un jeune homme qui veut sortir avec une jeune fille doit amener avec lui les preuves de ce qu'il possède au premier rendez-vous. Il lui faut au moins une voiture ou un appartement pour avoir une chance. La consommation et le gâchis semblent parfois démesurés, par exemple à Chengdu dont le centre piéton est devenu un énorme centre commercial en plein air, avec des boutiques de luxe aux portes ouvertes qui charrient la clime, rafraîchissent tout le quartier et gaspillant une énergie considérable.
En allant visiter les magnifiques anciennes grottes bouddhistes près de Datong nous sommes étonnés de devoir traverser un véritable centre commercial et un faux temple flambants neufs, avant de pouvoir atteindre le site heureusement tout de même préservé. Les occidentaux "romantiques" que nous sommes sont sensibles aux vieilles sculptures défraîchies, alors que les touristes de masse chinois viennent pour les beaux magasins, les photos et les souvenirs kitschs. (Pour leur défense, si nous aimons les choses anciennes, nous ne nous souvenons rarement qu'au départ elles n'avaient pas l'air "anciennes" : les sculptures grecques ou l'intérieur de nos églises étaient peints de couleurs vives qui nous sembleraient aujourd'hui aussi clinquantes... Quant à beaucoup de monuments chinois, le fait qu'ils soient en bois oblige à les restaurer tous les 20 ans et à leur redonner régulièrement un côté clinquant qui est en fait plus authentique.)

Déséquilibres
Si par de nombreux aspects la Chine paraît développée, elle a tout de même de nombreux problèmes liés notamment à son activité énorme et à ses excès. Par exemple la situation des travailleurs migrants et de leurs famille : en Chine on est lié à sa localité d'origine et on est censé y rester pour étudier et s'installer. Mais les besoins de main d’œuvre sont tels que des travailleurs bon marché migrent pour travailler sur des chantiers en dehors de leur région d'origine. Ils se retrouvent alors dépourvus de droits, et leurs enfants ne peuvent par exemple pas s'inscrire à l'école...
La Chine a aussi des déséquilibres démographiques importants (par exemple un manque de femmes important dans certaines régions et une population vieillissante très rapidement, à cause de la politique de l'enfant unique), des problèmes environnementaux considérables (une pollution très importante dans les zones urbaines : ces huit dernières années, il s'est construit en moyenne une centrale au charbon par semaine en Chine...), et il y a d'autres menaces plus ou moins avérées, comme celle, sanitaire, des exhausteurs de goût utilisés systématiquement dans la nourriture alors que leurs effets sur la santé sont peut-être néfastes (certains sont interdits en Europe mais utilisés à haute dose en Chine).
Certains estiment que la Chine a sorti plus de 300 millions de personnes de la pauvreté au cours des 30 dernières années, mais il reste beaucoup de gens qui sont encore dans des situations difficiles (récemment évalués à 100 millions). A Kunming, comme dans d'autres villes, il suffit de s'asseoir quelques minutes non loin d'une poubelle pour voir des gens -souvent des personnes âgées, probablement dépassées par des changements considérables- fouiller et chercher quelques restes.

2/ Un pays multiple et complexe

Choc des cultures
La deuxième chose qui frappe en voyageant en Chine, c'est la variété des culture et des ethnies : le pays n'est pas uniforme, et un de ses défis est justement celui de l'unification d'un territoire énorme peuplé de cultures variées. Les gens qui ne sont pas de l'ethnie majoritaire Han - ethnie qui représente 92% de la population - sont appelés "minorités ethniques". Il y a une bonne quarantaine de minorités qui représentent autour de 100 millions de personnes, situés essentiellement dans les régions périphériques du pays comme la Mongolie Intérieure, le Xinjiang, le Tibet, le Sichuan ou le Yunnan. Ces minorités sont confrontés à l'invasion d'un mode de fonctionnement chinois qui leur convient plus ou moins bien, et surtout qui menace leurs spécificités culturelles.
Pour la majorité des chinois Han, les "minorités ethniques" semblent vues comme un ensemble de gens un peu arriérés, intéressants par leurs costumes colorés et leur coutumes originales. Dans les musées elles sont recensées et présentées en catalogue pour leur costumes traditionnels colorés. Il existe aussi des clips commerciaux "best of minorités", dans lesquels des Hans déguisés en Mongols, en Ouïghours ou en Tibétains chantent des chansons pop en mandarin valorisant les paysages, le mode de vie ou l'exotisme de chacune de ces régions. Il s'agit de faire venir des touristes Hans, c'est la manière de coloniser à la chinoise. Le problème c'est que ce sont souvent des Hans "importés" par millions qui tiennent les ficelles des affaires dans le tourisme et bénéficient des retombées. Les cultures locales sont réduites à un folklore amusant, les touristes chinois raffolent des spectacles colorés superficiels presque parodiques.
Il n'y pas qu'en Chine que la "modernité" semble menacer les cultures. En revanche il y a peu d'endroits ou les choses évoluent aussi vite. Il y a donc régulièrement des troubles politiques - heurts entre ethnies locales et Hans, manifestations, moines qui s'immolent - dans les régions plus reculées de la Mongolie Intérieure, le Xinjiang ou le Tibet.

La Mongolie Intérieure
Nous avons passé très peu de temps en Mongolie intérieure, car nous avons surtout traversé la région (immense...) en train et en bus. Cependant nous venions de Mongolie (extérieure) et nous avons été frappés par le côté beaucoup plus artificiel de la Mongolie Intérieure. En Mongolie extérieure un majorité de gens vivaient dans des ger (yourtes) par tradition. En Mongolie intérieure nous ne croisons quasiment que des pseudo-champs de yourtes pour touristes, de grands "resorts". Les routes sont toutes en travaux, les villes sont pleines de grues, de nouvelles avenues bétonnées et bordées de petits parcs transforment la moindre localité en parfaite ville chinoise.
Nous avons rencontré à Shanghaï trois jeunes touristes qui venaient de Mongolie intérieure, mais étaient Han. L'un d'eux nous a dit que les récents troubles en Mongolie Intérieure étaient de la faute des Mongols qui avaient bloqués des routes. Après quelques recherches nous avons compris qu'un Mongol avait en fait été tué, traîné par le camion d'un Han, et que c'est ce drame qui avait conduit des Mongols à bloquer les routes. Le jeune avait dit : "de toute façons les troubles de l'année dernière sont réglés car maintenant l'armée est là."

Le Xinjiang
Dès l'arrivée à Turpan (après 33h de train en place assise, depuis XiAn) nous avons l'impression d'arriver dans un autre pays avec des gens différents. Les gens n'ont plus les yeux aussi bridés, ils ont souvent des petits chapeaux carrés, sont musulmans et ils ressemblent plutôt à des turcs. Les Ouïghours sont l'ethnie minoritaire la plus importante du Xinjiang, (devenue minoritaires depuis le déferlement de Hans des 20 dernières années, mais devant toute une palette d'autre minorités ethniques).
Les Ouïghours sont aussi dans l'ensemble plus expressifs que les chinois Han que nous avons croisé jusque là (c'est aussi peut-être dû en partie à la taille moins inhumaine des villes) : plus curieux, plus collants, plus contrastés (contents ou pas contents), voire carrément goujats (certains chauffeurs de taxi refusent de nous prendre si nous ne payons pas une somme astronomique). Leur réputation auprès des autres chinois est d'être des voleurs et des terroristes. Même si il y a peut-être un fond de vrai dans les statistiques, une telle généralisation doit être un peu irritante...
Nous arrivons à un moment particulier dans la région. Il y a eu un attentat dans la ville de Khotan quelques semaines auparavant, des policiers ont été enfermés dans un commissariat et massacrés. La veille du jour que nous pensions arriver à Kashgar, il y a d'autres attentats : les informations ne sont pas immédiates car le gouvernement filtre les sms. Mais apparemment deux Ouighours ont chargé une foule de Hans avec des camions et poignardé des gens. Quand nous passons au Xinjiang il y a des policiers et des militaires partout, qui ralentissent les mouvements sur les routes par de fréquents contrôles d'identité.
A Kashgar nous voyons la ville qui se transforme : là aussi il y a des grues, la vieille ville est considérée comme insalubre et petit à petit rasée. Qu'en pensent les gens ? Certains vont générer des attentats, mais la majorité des Ouïghours ou des non-Hans les soutiennent-ils ? Pas sûr, beaucoup ont l'air d'être plutôt contents de leur nouveau confort. Il n'y a de toutes façons pas de sondage, ou pas d'autre moyen de savoir. Il y a un gouvernement local ouïghour, mais a priori le pouvoir est en réalité exercé par le représentant du Parti Communiste à Urumqi (la capitale du Xinjiang).

Le Tibet
Nous avons passé du temps dans les contreforts du Tibet à différents endroits à différentes reprises. C'est une région très belle et très intéressante. Une première remarque cependant, c'est qu'il n'y a pas un Tibet, tout comme il n'y a pas un bouddhisme tibétain : chaque région et localité a sa propre langue (on ne dit pas bonjour de la même manière à Lhassa, à Xiahe ou à Litang), et il y a plusieurs "sectes" dans le bouddhisme tibétain, la plus connue étant celle dite "du chapeau jaune" qui est celle du Dalaï Lama.
En arrivant la première fois dans cette région, nous avons l'intention de loger à Xiahe, où est situé le monastère bouddhiste de Labrang, le deuxième plus grand après Lhassa. Mais les hôtels refusent de nous donner une chambre, nous expliquant que le Panchen Lama - le "numéro 2 du bouddhisme tibétain" imposé par les chinois - arrive en visite et que la ville est fermée aux étrangers. En clair ils craignent des troubles (immolations de moines) et ne veulent pas que nous soyons témoins.
Là encore : que veulent les Tibétains ? Nous avons croisé des villages flambants neufs construits à côté des anciens villages traditionnels : ils avaient l'air de plaire aux gens puisqu'ils y avaient tous bougé. En allant à un festival de courses de chevaux nous avons aussi été étonnés de l'engouement des Tibétains pour la fête foraine (venue tout droit de chez les Han, mais en fait venue tout droit de chez les occidentaux). On croise dans ces régions des zones pauvres ou enclavées qui bénéficient forcément dans un sens des infrastructures apportées par la Chine.
Nous avons peut-être en France un regard un peu "romantique" sur le Tibet. Avant l'arrivée des chinois en 1950 la société tibétaine était dominée par les lamas qui avaient le pouvoir politique et spirituel. Certains disent même qu'il y avait un vrai régime de servage "comme au moyen-âge en Europe". Ces thèses sont évidemment fortement soutenues par la Chine, qui est censée avoir "libéré" le Tibet. Mais si ces thèses sont probablement exagérées il n'en demeure pas moins que certains tibétains sont certainement plus contents d'être aujourd'hui reliés au monde et d'avoir une vie plus confortable que d'être restés dans l'ancien système d'avant 1950. Les tibétains ne sont par ailleurs pas vraiment de doux agneaux. Ils ont tous des couteaux énormes accrochés à la ceinture, sont du genre rustique (à découper une vache en plein rue à 5h du matin pour vendre de la viande rouge aux gens qui prennent le bus, ou à "enterrer" leurs morts en les découpant pour qu'ils soient mangés par des rapaces), et parfois sanguins. Nous avons vu certains s'énerver beaucoup pour très peu, et on nous a dit que les questions d'honneur se payaient très cher chez les tibétains. En réalité la question du Tibet n'est peut etre plus tant politique que spirituelle (au sens de liberté religieuse) : le Dalaï-Lama cherche d'ailleurs à recadrer le débat dans ce sens, ne demandant pas d'indépendance pour le Tibet et ayant récemment abandonné son role politique au profit d'un autre. Mais le gouvernement chinois n'est pas encore capable de dépolitiser le débat et de faire confiance aux religions (i.e de les considerer comme organisations non politiques), et il n'est probablement pas aidé par les tibétains exilés ou par les occidentaux qui lui renvoient des critiques purement politiques qui le braque.
Nous avons entendu une opinion intéressante : un type nous a dit penser que les Tibétains étaient en quelque sorte "trop spirituels". Naïfs, peu préparés à valoriser leur propre culture et leurs activités de façon pragmatique, ils se feraient donc grignoter très facilement... (En meme temps nous verrons dans un post sur les religions en Chine que si le mode de vie tibétain est certainement menacé, le bouddhisme le semble beaucoup moins)

Les droits de l'homme
Dans toutes ces régions, les chinois investissent et développent les infrastructures. Ce faisant ils améliorent le niveau de vie de gens, mais menacent aussi les cultures locales : ils envoient des gens (Hans) et agrandissent les villes, les façonnant de la même manière que partout ailleurs en Chine. Le rouleau compresseur uniformisant Han bouleverse ces régions. Certains "locaux" non-Hans doivent être très contents des nouvelles opportunités et des améliorations, d'autres doivent se sentir "colonisés", envahis et menacés par un changement trop rapide.
Mais comme on ne demande pas leur avis aux gens - il n'y a ni élections ni sondage -, il n'y a aucun moyen de savoir si une majorité de Ouïghours ou de Tibétains est contente des changements. Et en cas de tensions ou de problèmes, la force ainsi que la désinformation sont systématiquement utilisées, sans savoir si on brime tout un peuple ou si on gère quelques fous suicidaires. Le problème des droits de l'homme est majeur dans ce pays et il est régulièrement mis en avant par la communauté internationale.
Cela dit il faut sans doute faire attention à ne pas prêter de mauvaises intentions au gouvernement chinois sur la "colonisation". Ils font peut etre de leur mieux avec leur schéma de pensée : le matériel, la croissance sont pour eux le plus important (et c'est nous qui les avons influencés dans ce sens), et dans cette optique si on apporte des opportunités aux gens ils sont forcément contents. Ils doivent légitimement penser qu'ils aident les régions sous développées en construisant des routes et en faisant venir des touristes. Le problème c'est l'usage de la force devant toute contestation : c'est sur ce point qu'à la place des chinois les occidentaux feraient peut-être les choses autrement, aujourd'hui.

3/ Une adaptabilité qui peut encore nous étonner

La culture Han
La Chine "Han" est quant à elle devenue tellement développée et consumériste (plus que nous), qu'on pourrait avoir l'impression qu'elle a elle-même oublié sa culture. De fait la révolution culturelle a fait des ravages, les valeurs anciennes ont été remises en cause et la culture ancienne n'a plus été enseignée et tramsmise. Il semble aujourd'hui que les connaissances historiques ou littéraires des chinois - bien qu'ils se targuent d'avoir une culture qui a 5000 ans - soient devenues assez superficielles, ou en tous cas orientées. Et depuis la révolution culturelle ils ont en fait adopté beaucoup d'aspects culturels occidentaux.
Cependant on voit toujours en Chine des gens qui font du taï chi, des gens qui pratiquent la médecine chinoise, qui jouent aux échecs chinois ou même qui chantent de vieux opéras chinois dans des parcs. Tout n'est peut-être pas si oublié.

Individualisme ?
Cet été une histoire a beaucoup fait parlé les média, en Chine et hors de Chine : une petite fille s'est faite renverser en pleine rue par un camion, qui a reculé pour l'achever parce que "la pension à payer pour un enfant handicapé est plus élevée que pour un enfant mort". Une dizaine de personnes sont ensuite passées à côté, sans réagir ou aider la fillette. Les chinois ont été très choqués par cette histoire, se demandant si ils étaient devenus particulièrement égoïstes. Il est vrai qu'en voyageant en Chine nous avons souvent eu l'impression d'un "chacun pour soi". Les gens ne se laissent pas sortir du métro, s'enfument les uns les autres... Ils sont nombreux et si ils veulent survivre il leur faut s'imposer. Si on ajoute à cela l'émergence d'une mentalité matérialiste et hédoniste de "nouveau riche", on peut se dire que chinois sont égoïstes.
Pourtant les chinois ne sont pas tous indifférents, ou en tous cas pas forcément beaucoup plus que les européens d'une grande ville. Pour nous ils sont parfois très curieux, voire prévenants (nous faisant doubler une file à la banque, faisant bouger d'autres passagers pour que nous soyons assis côte à côte dans un bus, refusant de nous vendre des billets "standing" pour un trajet de 33h pour notre confort...). Certains vont en fait être distants car ils auront peur de ne pas pouvoir communiquer, ou auront très peur de faire des erreurs en parlant anglais (comme de nombreux français).
En fait dans des endroits moins inhumains que les grandes villes, les chinois peuvent se montrer très accueillants : dans les villages on peut se faire volontiers inviter à boire du thé ou de la gnôle, même si l'on ne pourra pas vraiment communiquer. Les chinois ont aussi un vrai côté latin, bon vivant et plein d'humour. Il nous est aussi arrivé à plusieurs reprises d'assister dans la rue à des engueulades presque dignes d'italiens.

Adaptabilité
Surtout, si nous avons été choqués par des comportements individualistes partout en Chine, il faut absolument remarquer les Chinois peuvent évoluer : si personne (sauf Clem) ne s'est levé pour laisser s'asseoir une vieille dame dans un bus au Tibet (alors qu'un type prenait une place avec sa télé), nous avons été très étonnés de voir à Shenzhen des vidéos dans le métro pour expliquer comment être courtois, et 3 jeunes se lever instantanément pour laisser leur place à une jeune maman et à son enfant.
De la même manière nous avons d'abord été édifiés par la manière de voyager de la majorité des Chinois : en grand groupe, avec un équipement sportif et photographique flambant neuf, mais ne marchant pas plus de 100m, se faisant guider comme des moutons et prenant tout en photo tout le temps. Mais nous avons aussi croisé des Chinois voyageant seuls, sac au dos, curieux, remettant les choses en cause. Une amie qui a étudié longtemps en Chine nous a expliqué que c'était un phénomène nouveau qu'elle trouvait très rassurant.
Le trait qui paraît typiquement chinois et qui finalement reste d'actualité, c'est l'adaptabilité et le pragmatisme.
La culture chinoise est nourrie de confucianisme (les règles, le respect des anciens... remis en cause par la révolution culturelle), de bouddhisme (plus mystique) et de taoïsme (la "voie", le ying et le yang, le blanc contient un peu de noir...). Si ces trois philosophies peuvent nous paraître contradictoires, les chinois ont toujours navigué et su trouver une voie nuancée. Ils ne voient pas les choses de manière aussi manichéenne que nous, par exemple là où nous ne comprenons pas qu'ils puissent être aussi matérialistes tout en se prétendant communistes.
Dans un sens ils sont plus ouverts, plus pragmatiques et plus adaptables que nous. Et ce n'est pas seulement qu'ils sont malléables car leur culture a été lessivée et parce qu'ils sont endoctrinés (même si ce n'est pas complètement faux).

Le futur
Nous avons été épatés par Shenzhen : la ville est très moderne, elle est pensée et espacée, verte. La ville de Hong-Kong, en face, est rebelle, cosmopolite, ouverte. Les deux villes peuvent paraître différentes, et en concurrence. Mais les Chinois sont des maîtres pour conjuguer d'apparentes contradictions. La Chine de demain ressemble un peu à ces deux villes. Bien sûr beaucoup de déséquilibres menacent la Chine. Mais ils savent décider où ils vont, et ils évoluent mieux et plus vite que nous. Comme le disait un haut fonctionnaire international : on les critique beaucoup en occident parce qu'on a peur d'eux, et qu'on ne les comprend pas, mais ils ne se débrouillent vraiment pas mal. L'immense paquebot Chine ne doit pas être évident à manœuvrer...
Ils apprennent de leurs excès (Nous avons été étonnés d'entendre des critiques ou des aveux d'échecs sur un projet d'urbanisme à une conférence. Ce n'est pas ce que nous associons au communisme), et ils savent s'inspirer de ce qui se fait de mieux chez les autres. La seule chose, c'est qu'ils sont fiers, et détestent qu'on leur dise quoi faire, qu'on les prenne de haut ou qu'on leur fasse perdre la face. Peut-être que sur certains thèmes l'Occident est moins efficace quand il les critique, les braque et leur fait perdre la face alors qu'il pourrait mieux les influencer par l'exemple et l'émulation...

En fait, si on peut critiquer beaucoup de choses à court terme, les Chinois semblent à moyen terme capables d'évoluer, pour par exemple devenir "verts" beaucoup plus vite et beaucoup plus efficacement que nous (Ils l'ont mis dans leur plan quinquennal 2012, ils vont le faire...). Ils sauront aussi probablement aller (lentement) vers plus de démocratie : il y a différents courants dans le pouvoir chinois, des hauts fonctionnaires éduqués en occident, et surtout une capacité à virer sa cutille sans s'embarrasser de contradictions (à la Deng Xiao Ping : peut-être seront ils les premiers à conjuguer communisme et démocratie ?). Ils seront aussi peut-être plus capables que nous de se rendre compte des limites du matérialisme (ils y vont tellement à fond que le retour de bâton pourrait être surprenant.) ? Dans tous ces domaines ils pourraient peut-être nous aider à nous réinventer nous-mêmes. 

2 comments:

  1. Merci beaucoup pour cette analyse très intéressante sur ce si grand pays ! Ce n'est pas simple...

    Je vous embrasse,

    Véro

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  2. Vous avez compris pas mal de choses à une réalité si complexe et multiple... bonne suite de voyage
    Bruno (HK)

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